Soudanais, Érythréens bloqués à la frontière italienne

Des membres de La Cimade de Nice se rendent régulièrement à Vintimille pour aider les migrants stockés là par les autorités, dans la mesure de leur possibilités. Mais aussi pour rendre compte de cette réalité peu suivie par les médias.

1er juin 2016
La situation est plus que tendue à Vintimille, tous les jours de nouveaux arrivants, immédiatement coincés à la gare par la police et l’armée. tous les jours des départs en trains pour la France, descendus des trains à la première gare française par la police . toujours des passeurs par la route (tarif 120 euros).                                    Les italiens traquent les réfugiés, objectif :zéro personne à Vintimille, renvoi par bus à Gènes et avion pour la Sicile pour les hot spots. Seuls quelque mineurs sont envoyés dans un centre spécifique.
Depuis vendredi 27 mai, nous avons constaté que les 200 qui restaient ont été chassés chaque jour dans des conditions de plus en plus dures, sans abris, sans nourriture,errant d’un lieu à l’autre.           Vendredi , sous le pont de La Roya dans Vintimille,   Dimanche sur la plage de Vintimille sous l’orage et la pluie,   Lundi , ramassés par des bus, ils fuient vers la gare,   Lundi soir , le curé de l’église St Nicolas ouvre la porte de ses locaux…mais pour 24h!   La police entre la nuit et sort les « européens » emmenés au commissariat, onze « solidaires » italiens reçoivent un interdiction administrative de séjour à Vintimille et la région,  mardi matin , certains sont partis dans la nuit, il reste 80 personnes qui quittent volontairement l’église et partent en groupe vers la frontière.   Stoppés à la frontière, entourés par la police et des militaires, ils sont tous identifiés. il y a des discussions,   Caritas propose ses locaux en attendant (ou espérant) une proposition du Diocèse catholique… à suivre.
Heureusement, il y a  la solidarité d’associations locales, des No Borders, d’Amnesty, Caritas, La Cimade… Chacun fait son maximum, mais tous demandent du soutien matériel et financier au jour le jour, non seulement aux particuliers, mais aussi à leurs instances nationales et régionales. Ces gens avec qui nous parlons  ont faim, ont besoin d’hygiène, de sacs de couchages, etc…

15 juin 2016
Bonjour,
Vous avez suivi ce qu’il se passait à Vintimille depuis la fermeture du Centre de la Croix Rouge le 12 mai dernier jusqu’à début juin.
La situation continue à être totalement chaotique puisque après le campement improvisé des migrants sur le bord de la Roya, et leur abri provisoire dans l’église San Nicola qu’ils ont dû quitter au bout de 48 h, après la manifestation des riverains du quartier Palaoia qui ont refusé qu’ils s’installent près de chez eux, ils se retrouvent maintenant à l’abri de l’église San Antonio. Voir le communiqué des évêques de Vintimille, Monaco et Nice.
Cette église est un peu excentrée du centre-ville, à environ 10 minutes du local de la Caritas. Ils y sont entre 400 et 600 chaque jour toujours majoritairement soudanais.  Il y a aussi des familles Erythréennes avec femmes et enfants. Les femmes et les enfants peuvent dormir à l’intérieur de l’église. Deux femmes enceintes sont accueillies par des familles italiennes du voisinage. L’une d’entre elle a accouché il y a quelques jours d’une petite Charifa. Les hommes s’installent sous des tentes dans la grande cour derrière l’église.
Aujourd’hui nous nous sommes retrouvées dans ce campement avec un groupe d’Américains bien sympathiques, venus apporter leur soutien alors qu’ils étaient en visite chez leur pasteur à Monaco.  Mais aujourd’hui aussi, un constat : il n’y a plus un seul no border. Ils ont été interdits de séjour à Vintimille…
ça fait un drôle d’effet de ne plus les voir !

La conversation s’établit facilement avec les jeunes migrants. Ils expliquent qu’il est de plus en plus difficile de passer la frontière, que la police les ramasse dès qu’ils s’approchent de la gare, que chaque jour, une cinquantaine d’entre eux est ramenée à Gênes par car puis par avion en Sicile, mais ils reviennent.
Toujours le même problème de prise d’empreintes qui les inquiète beaucoup parce qu’ils ne veulent pas rester en Italie, et qu’ils comprennent très bien l’enjeu. Un jeune Soudanais montre ses doigts brûlés au Soudan, ce qui lui a permis de ne pas laisser ses empreintes.
Mais aujourd’hui, plusieurs nous disent vouloir demander l’asile en France. Alors, nous leur donnons les flyers avec les adresses utiles à Nice pour demander l’asile et avoir un soutien humanitaire. Comme il n’y en a pas assez, ils les prennent en photo avec leurs téléphones !
A propos de téléphones : ils en ont un besoin vital. Toutes les assos se mobilisent pour apporter nourriture et vêtements, mais les téléphones (débloqués et avec connexion wifi) continuent à manquer cruellement.
Nous lançons donc un appel à toutes et tous : Envoyez-nous des téléphones ou des sous pour en acheter un max ! ils en ont autant besoin que de nourriture !

5 juillet 2016
Bonjour,
La dernière fois que nous vous avons écrit, nous vous disions que la situation des migrants à Vintimille s’aggravait. Cela continue. Ils sont à présent un millier à camper derrière l’église San Antonio.
La chaleur est telle sous le soleil qu’ils se réfugient sous le pont de l’autoroute et sur le parking qui se situent juste en face, bénéficiant ainsi d’un peu d’ombre.
Ce week-end, à la suite d’une visite haineuse sur place des représentants de la Ligue du Nord, mouvement d’extrême droite italien, les migrants ont organisé une marche jusqu’à la frontière et cela deux jours de suite. Un jeune à qui j’en parlais tout à l’heure me disait que pour ce faire, ils se réunissent en « assemblée » et arrivent ainsi à mobiliser environ 400 participants, et il faut noter qu’à présent c’est sans l’aide des no-borders. Bien évidemment ils ont été arrêtés avant le poste frontière qu’ils cherchaient à atteindre en prenant les petites rues, car l’autoroute leur est interdite. Le face à face avec la police s’est déroulé dans le calme jusqu’au moment où dimanche matin la police a chargé un court moment pour les faire reculer puis le calme est revenu.
La manifestation a pris fin dimanche soir à 22h30. Après de multiples négociations et l’intervention des membres de la Caritas, des médiateurs et du maire de Vintimille, Enrico Ioculano, après aussi une menace d’évacuation forcée, ils sont retournés à l’église
Il y a dix jours, nous étions venues avec les téléphones que nous avions pu récolter ou acheter grâce aux dons. Il y avait environ 600 personnes dans le camp, très majoritairement des hommes mais aussi quelques femmes soudanaises et érythréennes. Nous avions été reçues sous une des tentes du camp par un petit groupe de Soudanais. Nous avions pu leur expliquer les démarches à faire pour leur demande d’asile et ses conséquences, s’ils arrivaient à passer la frontière, leur laissant des plans de Nice et des flyers en français, anglais et arabe avec les adresses de la plate-forme d’accueil, et des associations qui fournissent nourriture, vêtements, douches, etc..
Aujourd’hui, nous avons tout de suite constaté que leur nombre avait considérablement augmenté. Un car de la Croix Rouge est garé sur le parking. L’équipe médicale présente nous a dit qu’ils reçoivent une cinquantaine de personnes par jour pour des soins plus ou moins bénins (essentiellement problèmes dermatos et respiratoires), avec cependant une à deux personnes qui sont envoyées à l’hôpital.
A l’intérieur du camp nous nous sommes installées au poste « téléphonie » (où les téléphones sont mis à recharger). Beaucoup de monde autour de nous pour écouter nos explications sur la demande d’asile en France, les lieux d’accueil, etc… mais ils nous disent leur désespoir de ne pas pouvoir passer cette frontière malgré, pour certains, plusieurs tentatives. Nous entendons encore dire comme à la dernière visite qu’ « après l’Euro, la frontière sera ouverte » !

Nous apportions chaussures, bermudas, caleçons, tee-shirts mais nous sommes effondrées devant le besoin ! Nous relançons donc un appel pressant à dons pour pouvoir continuer à aider.
A propos des téléphones, il n’y en a toujours pas assez, et certains pleurent de ne pouvoir appeler leurs parents restés au pays. Une solution précaire mais utile serait d’acheter sur place des cartes internationales prépayées à utiliser dans les cabines téléphoniques qui existent encore là-bas. C’est ce que nous ferons à notre prochaine visite.

mai-juillet 2016
Source : La Cimade Nice

Voir aussi la situation en mai 2016