Pas d’aide sociale municipale pour les sans papiers

Au cours du mois de janvier 2015, toutes les associations sollicitant des aides du Centre Communal d’Action Sociale de Tours (CCAS) en faveur des personnes qu’elles accompagnent, ont été informées les unes après les autres d’un projet de modification des critères d’attribution de ces aides – modifications qui pourront être effectives dans un délai de 6 mois.

Outre la fixation à 360 euros annuels par personne du maximum du montant de ces aides, et des règles strictes d’évaluation des besoins réels des « usagers », le CCAS de Tours annonce qu’il va exclure des aides directes les personnes en situation administrative irrégulière, entendons les « sans papiers ». La raison de cette discrimination serait que ces aides, notamment alimentaires, ne constitueraient pas en elles-mêmes un bon « accompagnement » de ce « public ». Et le CCAS de proposer que ce soient les associations qui connaissent les situations des « sans papiers » qui puissent gérer les attributions de ces secours et leur répartition. Ce montage supposerait que les associations en question puissent établir avec le CCAS des accords de « partenariat », négociés sur « projets ».

Ce système de délégation ne s’appliquerait pas pour l’aide alimentaire d’urgence (qui passerait de 10€ à 15€), ni pour les gratuités de cantine scolaire pour les enfants de sans papiers, qui pourront continuer à en bénéficier de façon directe.

Outre le caractère discriminatoire de ces nouvelles dispositions, qui appelle de notre part une ferme condamnation, elles reposent sur une approche totalement faussée de ce que sont les besoins et les aspirations des familles et des jeunes « sans papiers », et contiennent dès le départ toute une série de perversions inacceptables.

Il faut ici rappeler l’évidence : s’il existe des personnes en situation « irrégulière », dépourvues d’autorisation de séjour et de travail, ce n’est évidemment pas de leur fait, mais c’est la conséquence de lois, de règlements et de décisions préfectorales qui les excluent de leur droit de vivre ici. La première chose dont un « sans papiers » a besoin, c’est d’un titre de séjour. Il ne s’agit nullement d’un « public » socialement particulier, mais de personnes politiquement exclues. La situation de détresse matérielle dans laquelle se trouvent nombre de familles, de jeunes, de célibataires « sans papiers » relève d’abord et avant tout, non d’un accompagnement social qui ne réglera jamais le fond du problème, mais de leur REGULARISATION.

En méconnaissant cette évidence, en faisant comme si, au motif qu’elles sont « sans papiers », ces personnes relèveraient de prises en charge et d’accompagnement social spécifiques, on accentue les conséquences des politiques discriminatoires à l’égard des étrangers, on les met « à part » des dispositifs « normaux », on les relègue, on les exclut encore plus de la vie sociale et collective à laquelle elles souhaitent participer.

Sur ce fond d’exclusion, la municipalité de Tours (qui ne fait d’ailleurs preuve d’aucune originalité en la matière) tend à mettre en pratique un mode de gestion des habitants de la ville que nous devons dénoncer. Le CCAS met les associations devant ce qui sera un fait accompli d’ici 6 mois : les « sans papiers » seront exclus des aides du CCAS… sauf si les associations qui les accompagnent dans leur difficile parcours acceptent de devenir « partenaires » de la mairie. Cette proposition n’est qu’un grossier chantage, visant à mettre sur le dos des associations qui refuseraient ce « marché », la responsabilité de la suppression des aides aux migrants. Pour les « sans papiers », comme pour les associations qui accepteront, les conséquences seront désastreuses :

obligation pour un « sans papiers » d’en passer par une association « agréée », « partenaire » de la municipalité, au mépris de la liberté de chacun de se faire épauler ou non par une association.

établissement, par les associations, de listes des personnes aidées – de sorte que ce seront les bénévoles des associations qui seront responsables du contrôle « administratif » des aides dispensées. Outre une plus grande complexité du système pour les personnes qui seront prises en charge, cela entraînera l’élimination du dispositif pour les « sans papiers » non recensés. Dans la pratique actuelle, ce sont le plus souvent les travailleurs sociaux du Conseil général qui ouvrent l’accès aux secours du CCAS – et qui ainsi connaissent le détail des ressources et de la situation administrative des personnes qui les sollicitent. Ces fonctionnaires territoriaux sont tenus au secret professionnel – ce qui ne sera pas le cas des intervenants associatifs « intermédiaires » entre les « sans papiers » et la municipalité.

concurrence à venir entre les associations pour être de celles qui auront le « meilleur projet » et qui prétendront assurer un meilleur « service » à moindre coût. Car derrière ce dispositif spécifique et discriminatoire pour les « sans papiers », il y a aussi la volonté de la municipalité de diminuer les dépenses du CCAS. Une baisse des aides dont les associations passeront pour responsables aux yeux des bénéficiaires lésés, bien entendu !

perte d’indépendance des associations qui, ayant soumis leur « projet » à l’appréciation de la municipalité, seront périodiquement évaluées par elle dans leurs résultats, sur des critères qui ne seront pas forcement ceux qu’elles appliquent aujourd’hui. Intermédiaires obligées du pouvoir municipal, elles participeront de ce pouvoir puisqu’elles seront amenées à faire un tri entre les diverses sollicitations, selon les modes d’appréciation imposés par le CCAS.

déqualification des personnels en charge du suivi des « usagers » et dans l’évaluation de leurs besoins. Actuellement, le recours aux aides du CCAS dépend du suivi par des travailleurs sociaux, notamment les assistantes sociales des Maisons de la Solidarité, qui sont des professionnelles de l’accès aux droits et de l’accompagnement social. Le principe de la délégation de ces tâches à des associations revient à les confier à des bénévoles, par définition non payés. Même à supposer que leurs compétences égalent leur dévouement, ce système revient à abandonner à des structures privées des missions de service public ce qui pour nous, est inacceptable, car cela signifie à terme la :

suppression de postes de travailleurs sociaux, des travailleurs qui agissent bien évidemment selon les directives de l’administration qui les emploie, mais qui ont une déontologie, notamment à travers le secret professionnel, et sont plus à même que des bénévoles (par définition précaires et non organisés collectivement) de défendre les droits des usagers.

confusion des responsabilités dans la mise en œuvre du suivi social des personnes « sans papiers », où ce qui était du ressort d’une collectivité locale et de ses choix politiques, et donc une mission de service public, devient une mission « humanitaire » et « caritative ».

Il n’est pas impossible que certaines des associations qui œuvrent aujourd’hui dans le champ de l’accueil et de l’accompagnement des migrants soient séduites par ce « partenariat » que leur propose le Conseil d’Administration du CCAS, et, en dernier lieu, la municipalité de Tours. Il n’est pas impossible qu’elles y voient une sorte de « reconnaissance » de leurs efforts au quotidien et du dévouement de leurs bénévoles. Sans doute certaines d’entre elles, fortes de leur expérience auprès des migrants, des demandeurs d’asile et des « sans papiers » considéreront-elles comme légitime que ce soit elles, qui connaissent les problèmes, qui soient investies de la charge de leur trouver une solution. Et bien entendu, on nous dira : « Mais si la condition pour que le CCAS continue à aider les « sans papiers » c’est d’en passer par un « partenariat » avec la mairie, comment refuser sans mettre en péril l’assistance indispensable à ces personnes ? »

Pour nous, au-delà des intentions de meilleure efficacité mises en avant par le CCAS, nous voyons la discrimination, la volonté de contrôler les associations d’aide aux migrants, le souci de faire des économies… et un inadmissible chantage, qu’il faut dénoncer avec vigueur !

6 février 2015

Source: RESF37