Se libérer d’un système mafieux d’emploi d’étrangers

Le 22 mai 2014, une vingtaine d’employé-e-s étranger-e-s, dont certains sans papiers, d’une boutique de coiffure 57 Boulevard de Strasbourg à Paris se révoltent contre la surexploitation dont elles sont l’objet. Elles et ils font appel à la CGT de Paris, qui les accompagnera dans leur combat pendant presque une année. Récit des derniers épisodes.

16 décembre 2014.

Nous exigeons l’application de la loi !

Madame la Ministre de la Justice, Monsieur le Ministre du Travail,  Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Madame la Ministre des affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes,
Monsieur le Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique,
Monsieur le Défenseur des Droits,

Victimes d’un « système mafieux » qui, abusant de la particulière vulnérabilité de ressortissants étrangers sans-papiers, organise une véritable traite des êtres humains en plein cœur de Paris, dans le pays qui se proclame la patrie des droits de l’homme, les 18 salarié-e-s du 57 Bd Strasbourg sont désormais en lutte depuis  le 22 mai 2014, soit depuis plus de 6 mois.
Au péril de leur sécurité – certain-e-s ayant fait l’objet de menaces de mort tout comme les militants qui les soutiennent – ils et elles ont osé briser l’omerta existant dans les boutiques de coiffure et manucure du quartier « Château d’eau » en dénonçant leur sort.
C’est en leurs noms que nous vous écrivons pour qu’à la violence qu’ ils subissent ne s’ajoute pas l’injustice.
Car, à ce jour, ils se voient toujours refuser le bénéfice des dispositions de l’article L316-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre l’infraction visée à l’article 225-4-1 du code pénal.
Sans papiers, sans droits, sans contrat de travail, isolé-e-s, sans-domicile fixes pour la plupart d’entre eux, victimes dans leurs pays d’origine, ils et elles sont pourtant sans conteste victimes de « traite des êtres humains » au sens de l’article 225-4-1 du code pénal, à savoir « le recrutement de personnes en situation de vulnérabilité, à des fins d’exploitation et dans des conditions de travail contraires à la dignité humaine ».
Alors que l’État devrait placer ces personnes sous sa protection pour avoir dénoncé ce système organisé d’exploitation, la Préfecture de Police refuse encore aujourd’hui d’examiner leur situation en vue d’une régularisation en tant que victimes de traite.
Alors que les intérêts de toutes et tous sont mis à mal par ces patrons voyous (perte fiscale, perte de cotisations pour les caisses sociales…), le silence et l’immobilisme du gouvernement est incompréhensible et inacceptable.
Cette attitude qui confine à la complicité passive adresse par ailleurs un bien funeste message aux salarié-e-s qui subissent ce système tout en rassurant les patrons qui en profitent !!!
Nous exigeons l’application du droit, c’est-à-dire la protection, à commencer par la régularisation, de ces salarié-e-s et la poursuite des employeurs par les services de l’État.
Les théories inacceptables échafaudées autour d’une « peur de l’appel d’air » qui justifient déjà la « gestion » féroce des flux migratoires vont-elles en outre servir à tolérer au XXIe siècle la traite des êtres humains en plein cœur de la Capitale ?
Le combat exemplaire de ces salarié-e-s c’est celui de tous les travailleurs  :
Celui du respect du Droit du travail pour chacun des salarié-e-s de ce pays !
Le patronat à travers ce système de traite place le principe de dumping social à un niveau inégalé en France.
Alors même que l’article 23 de la déclaration universelle des droits de l’Homme assure un droit de travail décent pour tous, comment vous, ministres en exercice, pourriez-vous accepter une telle atteinte aux principes fondateurs de notre République ?
Un État de droit se doit de protéger toutes celles et tous ceux qui travaillent sur son territoire !
Nous attendons de vous que vous mettiez un terme à cette situation qui n’est plus tolérable et que  les droits de ces victimes soient enfin respectés.

Premiers signataires :
CGT Police Paris, CGT Préfecture de Police de Paris, Collectif des cinéastes pour les sans-papiers, Droits Devant !!, FASTI, Fédération de Paris du PCF, FSU 75, GISTI, La CIMADE,  LDH, MRAP, PCF 10e, SUD Commerce IDF,  Syndicat de la Magistrature, Syndicats de l’inspection du travail (CGT Travail–Emploi Paris, SNTEFP-CGT, SNUTEFE-FSU, SUD Travail), Union Locale CGT du 10e, Union Départementale CGT Paris,  Union Syndicale Solidaires, Union Syndicale CGT Commerce Paris

24 janvier 2015. La détresse derrière les tresses. Le vernis craque à Château-d’Eau, le temple parisien de la coiffure afro. Derrière les vitrines exotiques prospère une économie parallèle qui exploite les salariés et fait régner l’omerta. Un article de Stéphane Marteau dans Le Monde.

13 mars 2015. Après huit mois de grève et de révolte contre le système mafieux de Château d’eau, il devient impératif que tous les salarié(e)s du 57 Bd Strasbourg soient enfin protégés par un titre de séjour.

Recrutés dans la rue par ceux qui les ont exploités, soumis à des conditions de travail contraires à la dignité humaine constatées par l’inspection du travail, exposés à des produits cancérigènes, asservis par leur situation de vulnérabilité, dépourvus de titre de séjour pour 14 d’entre eux, ils ont osé lever la tête et dire stop à la Mafia qui sévit dans ce quartier de la Capitale.
Malgré les menaces de mort, des intimidations quotidiennes, des violences (dans la nuit du 7 mars, à 4h du matin, un projectile a brisé la vitre de la porte d’entrée du salon de coiffure), ils et elles résistent depuis le mois de mai 2014.
Ils et elles ont osé témoigné à visages découverts dans de nombreux médias, ont pris des risques et ont porté plainte pour « Traite des êtres humains ».
Le Ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve a lui même exprimé son « indignation » le 16 décembre 2014 dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale face à « cette affaire épouvantable où des femmes sont exploitées dans des conditions indignes par des véritables réseaux de la traite des êtres humains ».
Lors d’une réunion le 27 novembre 2014 le cabinet du Ministre nous avait fait connaître sa volonté de trouver une issue positive pour les 14 salariés sans-papiers du salon. Le 4 mars 2015, la Préfecture de Police nous a fait connaître sa volonté de ne régulariser que 5 de ces salariés. Aujourd’hui-même, ces salariés ont été régularisés mais comme nous l’avons dit lors de cette réunion, nous n’acceptons pas cette décision partielle et partiale.
Nous n’accepterons pas que des salariés qui ont osé se dresser contre un système mafieux, contre un système de Traite retournent dans la clandestinité aujourd’hui.
Nous demandons à Monsieur le Préfet de Police de faire encore un effort et de régulariser les 9 salariés qui sont toujours dépourvus de titres de séjour.

1 avril 2015. Le mardi 31 mars une délégation a été reçue, à la demande de l’UD CGT Paris, par monsieur Sodini, conseiller immigration du ministre de l’Intérieur, monsieur Bernard Cazeneuve. Dans le même temps se tenait un rassemblement de soutien.
Cette délégation était composée de Patrick Picard, Marilyne Poulain et Christine Kermoal pour l’UD CGT Paris, Francine Blanche pour la Confédération CGT, Didier Le Reste, élu PCF du 10ème et conseiller de Paris, Romain Goupil, représentant du collectif des cinéastes, Aminata Soumaoro et Fatou Doumbia grévistes du 57 Bd de Strasbourg.
Après un rappel du contexte dans lequel se déroule ce conflit qui dure depuis 8 mois la délégation a rappelé que ces femmes et ces hommes s’étaient placé-e-s du côté de la loi en dénonçant un système organisé d’exploitation de travailleur-se-s en situation de vulnérabilité et en déposant plainte, avec la CGT, notamment pour traite des êtres humains. Elles et ils  sont victimes et doivent être placé-e-s à ce titre sous protection  par l’obtention d’un titre de séjour leur permettant de pouvoir chercher du travail et  se reconstruire.
Les deux salariées ont retracé leurs parcours, les motifs de leur grève, décrit le fonctionnement mafieux des employeurs du quartier Château d’Eau, les conditions dans lesquelles elles sont recrutées dès leur arrivée en France,  expliqué leurs parcours de vie et la précarité dans laquelle elles sont maintenues.
Il a également été rappelé que les habitant-e-s du quartier commençaient à être exaspéré-e-s par ce système mafieux qui perdure à la vue et au su de tout le monde en plein Paris.
Nous avons réaffirmé que l’Etat devait se placer du côté des victimes en faisant appliquer la loi et non donner l’impression de donner le mauvais signal aux patrons mafieux qui se sentent protégés.
Il a été rappelé que la CGT et l’ensemble des soutiens ne lâcheraient rien jusqu’à la régularisation des 9 grévistes qui n’ont toujours pas de titre de séjour.
Monsieur Sodini nous a entendu et s’est engagé à rappeler l’UD CGT  Paris vendredi 3 avril.
Nous espérons qu’une issue positive nous sera enfin annoncée ce jour-là. Si tel n’était pas le cas, alors nous passerons à l’échelon supérieur et interpelleront directement l’Elysée afin que la décision politique qui s’impose dans ce conflit soit prise.

9 avril 2015. Une grande victoire arrachée par les salarié(e)s du 57 Bd Strasbourg !

Après 10 mois de lutte et 8 mois de grève contre les patrons mafieux du quartier Château d’Eau à Paris, les coiffeurs et manucures du 57 Bd Strasbourg ont enfin obtenu vendredi 03 avril l’engagement du Ministère de l’Intérieur et de la Préfecture de Police de leur délivrer à toutes et tous une autorisation de travail afin de pouvoir se reconstruire et trouver un emploi.
Il aura fallu 10 mois de lutte acharnée, d’occupation jour et nuit de leur lieu de travail, une plainte contre le système de Traite des êtres humains qui sévit dans ce quartier de Paris, la dénonciation à visage découvert par les salarié(e)s d’un véritable système mafieux organisé afin de recruter des personnes en situation de vulnérabilité, à des fins d’exploitation, dans des conditions de travail contraires à la dignité humaine, des menaces de mort, des intimidations au quotidien pour qu’enfin l’État se décide à réagir positivement et donner un signal clair aux patrons de Château d’Eau.
Les neuf salarié(e)s qui n’étaient toujours pas régularisés sont convoqués demain, vendredi 10 avril en Préfecture de Police de Paris pour recevoir leur autorisation de travail.
Elles et ils pourront être enfin des salarié(e)s comme les autres, qui cotisent, payent des impôts et font valoir leurs droits. C’est une véritable délivrance pour ces femmes et ces hommes qui pourront enfin sortir d’un système organisé d’exploitation et de Traite des êtres humains.
Ces travailleurs, principalement des femmes, ont mené avec détermination un combat juste pour leur dignité, leurs droits mais aussi pour nos Droits, le Droit plus généralement et le respect de la Loi.
Leur lutte a permis de mettre à jour et dénoncer une zone de Non-Droit qui préfigure ce que souhaiterait le Patronat : des salariés sans droits exploitables et corvéables à merci.
Aujourd’hui, c’est une victoire pour elles et eux mais aussi pour l’ensemble des salariés de France.
Nous ne lâcherons rien quant à la plainte pour traite des êtres humains que nous avons déposé avec eux le 6 août 2014 et nous engageons un travail de fond et de longue haleine contre le travail dissimulé dans ce quartier parisien, sous la forme d’un contrat de prévention et de sécurité entre la Mairie de Paris, la Mairie du 10e arrondissement, la Préfecture de Police, l’Inspection du Travail et les syndicats.
Pour la Cgt Paris, c’est une première victoire contre ces réseaux illégaux qui exploitent des milliers de femmes et d’hommes tout en s’appuyant sur l’incohérence des lois françaises sur l’immigration qui se succèdent et sont de plus en plus restrictives.
Maintenir pendant 3 ou 5 années  des travailleurs sans-papiers dans la clandestinité avant de pouvoir espérer une régularisation, c’est les laisser à la merci des patrons mafieux et des réseaux d’exploitation.
La Cgt Paris remercie les nombreux soutiens qui se sont manifestés autour de ces salarié(e)s et la justesse de leur combat : syndicats, associations, partis politiques, élus, cinéastes, intellectuels, riverains de la Capitale et du 10e arrondissement qui ont contribué activement à cette issue positive.
Une fête sera très prochainement organisée une fois les autorisations de travail en poche. Nous vous communiquerons la date au plus vite

11 avril 2015. Lundi à 18h nous quitterons le salon du 57 bd Strasbourg, les salariés ayant tous obtenu leurs récépissés autorisant le travail hier. Ce sera donc à cette occasion un dernier rassemblement pour lever l’occupation.
La fête de victoire du 57 bd Strasbourg aura lieu le vendredi 17 avril à 19h dans la salle des mariages de la Mairie du 10e.

1er juin 2015. Pour obtenir une carte de séjour perenne, les salarié-e-s doivent trouver un contrat de travail (CDI ou CDD) à temps complet sur 12 mois.  Sur les 18 salarié-e-s, 9 sont toujours à la recherche d’un emploi.

13 août 2015Portrait d’Amichou, la plus jeune des grévistes. A 19 ans, demandeuse d’asile puis déboutée, c’est elle qui a convaincu ses collègues de se mettre en grève et de contacter la CGT en mai 2014.

Source : CGT Paris