Un accès à la demande d’asile semé d’embûches

Depuis l’été 2015, la préfecture de Rennes a inventé une nouvelle pratique pour se débarrasser des demandeurs d’asile ou pour les précariser. En particulier des noir-e-s. Car, oui, nous sommes bien obligé-e-s de le dire ainsi.

Pour les personnes peu au fait des nombreuses dispositions encadrant le droit de demander l’asile en France et d’être protégé pendant la durée de la procédure, voir ici un résumé. Cet arsenal législatif est celui qui a été utilisé dans les années 2000 et jusqu’en 2015. C’était déjà restrictif pour les demandeurs d’asile mais ce n’était pas suffisant. Alors la préfecture de Rennes a eu une nouvelle idée…

La nouvelle invention de la préfecture de Rennes
Depuis cet été 2015, la préfecture de Rennes a utilisé la loi existante pour élargir le nombre de demandeurs d’asile concernés par la réadmission ou par la fraude et donc la procédure prioritaire. Au lieu de se contenter de vérifier ce qu’a fait le demandeur d’asile une fois entré en Europe ou en France, elle a décidé de vérifier ce qu’il a fait pour fuir de son pays. Elle a notamment cherché à voir si la personne n’avait pas fraudé pour fuir son pays.

Au début, nous avons rigolé car nous ne pensions pas qu’une préfecture aurait le droit un jour de reprocher, à une personne qui fuit parce qu’elle est menacée, de mentir ou de tricher pour quitter son pays. Eh bien, nous avons eu tort de rigoler car, le lundi 21 septembre, le tribunal administratif vient de donner raison à la préfecture de Rennes ! Ce qui s’est passé est très grave car, grâce à cette nouvelle pratique, la préfecture de Rennes va pouvoir faire réadmettre de force beaucoup plus de demandeurs d’asile ou retirer leur récépissé aux autres.

EXPLICATION
En général, quand un demandeur d’asile fuit son pays et décide de rejoindre la France, il est obligé de fuir illégalement car, s’il se présente à l’ambassade de France, cette dernière ne lui donne pas l’autorisation d’entrer en France. C’est toute l’hypocrisie du droit de demander l’asile dans un pays européen : tu as le droit de le demander mais chaque pays européen fait tout pour t’empêcher d’entrer sur son territoire pour le demander ! Les pays d’Afrique – en particulier d’Afrique subsaharienne – sont bien entendu davantage visés par cette politique hypocrite.

C’est là que le célèbre « passeur » entre en scène et devient indispensable. En échange d’une somme d’argent plus ou moins importante, il propose à la personne qui veut fuir son pays de la faire sortir grâce à un passeport d’emprunt. En clair, il va trouver un « vrai faux » passeport pour la personne en fuite. C’est un vrai passeport mais ce n’est pas celui de la personne qui va fuir.

Le plus souvent, comme il faut un visa pour entrer dans l’espace européen Schengen, la personne en fuite va être invitée à se présenter dans un consulat pour une prise d’empreintes digitales grâce auxquelles le visa pourra être délivré (moyennant plus ou moins d’argent car il faut bien payer les gens qui vont fermer les yeux sur la délivrance du visa).

Cette manière de fuir illégalement son pays concerne la quasi-totalité des demandeurs d’asile qui sont obligé-e-s de fuir leur pays par avion, donc les demandeurs qui viennent d’Afrique ou d’Asie.

La préfecture de Rennes sait tout ça. Et, depuis que cette pratique existe, elle n’a jamais rien dit. Jusqu’à cet été, quand la personne arrivait sur le territoire français, elle donnait son identité (réelle) et elle expliquait qu’elle était rentrée avec un passeport d’emprunt. On vérifiait alors les déclarations de la personne une fois arrivée en Europe mais on ne s’occupait pas des méthodes qu’elle avait utilisées pour fuir son pays. Et c’était normal puisqu’une personne persécutée a rarement la possibilité de fuir de manière organisée et légale.

Or, depuis cet été, la préfecture de Rennes s’est mise à utiliser un nouveau fichier – qui n’est pas si nouveau – d’empreintes digitales : le fichier Visabio (visas biométriques). Grâce à ce fichier, on peut repérer si une personne est passée par un consulat européen, quel qu’il soit, pour entrer en France.
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Prenons un exemple réel. T est congolais. Il est persécuté en RDC. Il fuit en Angola et trouve un passeur qui lui propose un passeport d’emprunt angolais pour fuir en Europe. T va au consulat du Portugal en Angola et donne ses empreintes afin qu’un visa lui soit obtenu. Il prend alors l’avion et entre en Europe grâce au visa.
T se présente à la préfecture de Rennes pour faire sa demande d’asile. Il donne sa vraie identité, explique qu’il a fui avec un passeport d’emprunt et fournit même un acte de naissance. La préfecture prend ses empreintes avec la borne Visabio et repère comment il a fui son pays. Elle l’accuse alors d’avoir menti sur son identité réelle puisque, selon les empreintes digitales, il a un passeport angolais. En clair, le faux passeport de T devient, pour la préfecture, son vrai passeport et c’est comme ça que T devient angolais alors qu’il a dit la vérité sur le fait qu’il est congolais. Mais, en plus, comme il avait un visa délivré par le consulat portugais, la préfecture met en place une procédure de réadmission forcée vers le Portugal.
Elle le convoque à la préfecture pour lui notifier sa réadmission et elle lui demande d’attendre quelques heures dans la préfecture. Soudain, la police arrive et il est interpellé dans la préfecture. Heureusement pour T, cette arrestation a été jugée déloyale par le Juge des libertés et de la détention. Mais T ne peut pas faire sa demande d’asile ici parce que, pendant 6 mois – voire 18 mois –, il aura l’obligation de quitter la France pour le Portugal. S’il parvient à échapper à la réadmission forcée, alors il pourra déposer sa demande d’asile mais elle sera traitée en procédure accélérée.
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On peut aussi prendre l’exemple réel de Y. Il est congolais et il avait déjà fait sa demande d’asile depuis plusieurs mois. Au moment du renouvellement de son récépissé, en août, la préfecture prend ses empreintes digitales sur la borne Visabio et découvre qu’il est lui aussi passé par l’Angola pour fuir. Comme on ne peut pas le faire réadmettre, on lui retire son récépissé et il se retrouve sans droit.

Tout ceci semble très compliqué mais la manœuvre de la préfecture est claire. Dans nos permanences juridiques associatives, ce sont des dizaines de demandeurs d’asile (on en serait à 40 selon la préfecture elle-même) qui, à Rennes, subissent l’accusation de fraude parce qu’ils ont quitté leur pays avec un passeport d’emprunt. Le service maniaco-dépressif, qui a eu cette idée géniale de retourner contre les demandeurs d’asile le fait qu’ils ont réussi à fuir illégalement de leur pays, doit avoir oublié combien, dans l’histoire de toutes les guerres et de toutes les résistances (y compris la nôtre), les fausses identités et les passeports d’emprunt, voire les faux passeports tout courts, ont constitué une condition sine qua non de la possibilité de fuir.
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Bref, la situation est grave. D’une part, la préfecture de Rennes a mis en place une pratique de plus pour harceler les demandeurs d’asile et les décourager. D’autre part, le tribunal administratif a, lundi dernier, validé cette pratique, ce qui pourrait donner des idées à toutes les préfectures du pays. Autrement dit, le tribunal a accepté l’idée qu’une préfecture ait le droit d’évaluer la manière dont une personne persécutée a fui son pays. C’est ignoble mais, pour l’instant, le droit est pleinement raciste (pas seulement xénophobe puisque ce ne sont pas tous les étranger-e-s qui sont concerné-e-s mais bel et bien les africain-e-s en pratique).
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Et qu’est-ce qu’on fait quand le droit devient raciste ? Comme nos ancêtres, on résiste…en contournant le droit…

28 septembre 2015
Source : Collectif de soutien
aux personnes sans-papiers de Rennes