Lille : un « Sangatte bis » s’installe dans l’indifférence

Une trentaine de personnes, pour la plupart « mineurs isolés étrangers », squattent depuis plus d’un mois le jardin des Olieux dans le quartier de Moulins. Vivant dans la plus grande précarité, ces adolescents se retrouvent livrés à eux-mêmes, dorment sous la pluie et mangent quand ils le peuvent.

Un article de Patrick Seghi, publié le 22 juillet 2015 dans La Voix du Nord.

Mamadi Souaré, 16 ans, se lève de son banc. Les yeux rougis par la fatigue. Il lâche : « Je n’ai pas dormi de la nuit. Quand il pleut, on reste debout… » Avec une trentaine de compagnons d’infortune, le jeune Guinéen a quitté le confort très relatif d’une église baptiste pour le parc des Olieux à Moulins. « Il n’y a plus personne pour nous accueillir. » La scène se joue à deux cents mètres de la mairie de quartier. Au détour d’une rue, un petit camp indigne s’est installé voici plus d’un mois. Dans l’indifférence générale. Un « Sangatte bis », glisse un riverain.

« Nous dormons à même le sol »

Mamadi Souaré, baguette industrielle en main, fait le tour du propriétaire. Un matelas sur le sol, partagé à tour de rôle ; des sacs en plastique en pagaille qui résument des vies d’errance ; quelques conserves soigneusement cachées… Aucun sanitaire. Le jardin n’est pas conçu pour devenir un camp de réfugiés. Les douches se prennent, plus loin, au foyer Ozanam « qui nous donne du pain et un peu d’eau ».

L’ennui se trompe en jouant au foot ou en arpentant les rues de Lille. « On se débrouille. Des voisins nous donnent parfois des vivres et des vêtements. » Manger chaud reste un luxe ; dormir sous un toit, une utopie. « Aucun abri couvert. Nous dormons à même le sol. Trois de mes compagnons sont malades », poursuit le jeune homme, lui-même asthmatique. Terrorisé à l’idée de voir ici le bout du chemin à la suite d’un départ pour « raisons familiales ».

« Toutes les portes se sont fermées… »

Venus de Guinée, du Mali, du Tchad… le groupe, parmi lequel des mineurs isolés, sans famille, sans papiers, vit dans la dèche la plus totale. « Il y a des gens parmi nous qui veulent étudier, avoir une formation. C’est la meilleure chose pour nous. Nous aimerions être suivis par des éducateurs », livre l’un d’eux. Un vœu pieux au vu du flou qui entoure leur statut.

Pour le moment, le jardin des Olieux leur sert d’Eden. « Nous sommes là jour et nuit. » Jusqu’à quand ? Les patrouilles de police se soldent par quelques signes de la main avant, ce mercredi, une évaluation plus musclée de la situation. « Cela fait plus d’un mois que nous sommes sans abri. Toutes les portes se sont fermées… » Que leur reste-t-il ? « Une vie dans les buissons ? »

Entre solidarité et crispation

« Petit square de 8 000 m2, ce jardin isolé des voies de circulation par de grandes buttes engazonnées, est propice aux jeux d’enfants en toute sécurité ! » Voilà ce qu’annonce le site de la ville de Lille lorsqu’on s’intéresse au jardin des Olieux, (rues d’Avesnes, Monge, Lamartine, Seclin) construit sur une ancienne friche. Sur place, la vision idyllique prend l’eau. Les habitants du quartier se divisent en deux catégories. « Les solidaires. qui nous aident, nous donnent à manger comme pendant le ramadan et nous soutiennent », précise Mamadi Souaré, 16 ans, venu de Guinée (lire ci-dessus).

D’autres, plus crispés, trouvent la situation « insupportable ». « On a l’impression d’habiter à Calais. Cela fait mal au cœur pour eux mais pour nous c’est tragique de vivre comme cela et donner cette image à nos enfants qui aiment jouer ici », lâche une maman. Trois personnes âgées assises sur un banc conviennent « qu’il n’y a pas de problèmes avec les migrants ». Un passant contredit la version et lâche : « C’est de pire en pire dans ce quartier… » La cohabitation, ponctuée de brefs contrôles policiers, semble avoir atteint ses limites.

En urgence…

« Si l’État jouait son rôle, cette situation n’existerait pas. » Doriane Becue, en charge de cette question au Département, avance deux explications : « L’État ne s’occupe pas des majeurs qui restent dans les foyers et bloquent autant de places pour les mineurs isolés. Et la circulaire Taubira qui prévoit une répartition de ces mineurs dans les différentes régions n’est pas appliquée. Le Nord est pénalisé. »

Signalons que de façon très étonnamment précipitée, les services de police sont intervenus ce mercredi vers 15 h 45 pour déloger ces migrants. Le Centre de ressources sur les mineurs étrangers précise pourtant que « la France, signataire des textes internationaux, doit considérer ces enfants comme des enfants privés du soutien de leur famille ou d’un tuteur ». Que tout mineur en danger « relève de la responsabilité directe de la Protection de l’enfance, sans condition de nationalité » ; un mineur étranger étant inexpulsable une fois entré sur le territoire. D’abord enfant ou étranger ?

22 juillet 2015
Source : La Voix du Nord

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