Monsieur B. est algérien, il est présent en France depuis plus de 10 ans. C’est à ce titre qu’il se présente à la préfecture de police de Paris pour y demander un titre de séjour (un « certificat de résidence algérien ») d’un an, portant mention vie privée et familiale. Mais cela ne va pas se passer tout seul…
Étape 1 : la préfecture refuse le titre de séjour
La préfecture refuse de délivrer un titre de séjour à monsieur M., estimant qu’il n’établit pas résider habituellement en France depuis plus de 10 ans. Elle remet en question la valeur probante des pièces présentées.
Monsieur fait un recours contre cette décision.
Étape 2 : le tribunal administratif annule la décision de la préfecture
Le tribunal administratif (TA) procède à un examen attentif des pièces produites, et explique en quoi celles qui ont été écartées par la préfecture ont bien une valeur probante. Logiquement, il annule le refus de la préfecture et lui enjoint de délivrer le certificat de résidence à monsieur M.
La préfecture fait appel du jugement du TA auprès de la cour administrative d’appel (CAA) de Paris.
Étape 3 : la cour administrative d’appel annule la décision de la préfecture
La cour administrative d’appel se borne à relever que certaines pièces produites sur certaines périodes sont insuffisantes pour caractériser la présence habituelle en France de l’intéressé. Elle ne dit même pas en quoi elle considère ces pièces insuffisantes. Nombre ? Nature ?
Elle n’apporte aucune justification à sa décision d’annuler le jugement du TA de Paris.
Étape 4 : monsieur M. demande le soutien juridique d’une association pour faire reconnaître son bon droit
Le monsieur se présente à une permanence de la Cimade. Là, on est habitué à ce que les préfectures rejettent les demandes de séjour au titre des 10 ans de présence, par tous moyens, notamment la remise en cause de la validité des preuves pour les Algérien.ne.s. Mais dans ce cas précis, c’est trop caricatural : une longue démonstration du TA balayée en un seul petit paragraphe par la Cour d’Appel ??
Enough is enough, la personne qui a reçu et écouté monsieur M. en parle à plusieurs de ses « collègues », à un avocat qu’elle connaît au Conseil d’État, on en discute : il faut réagir, il y en a assez !! Les préfectures et les juridictions ne peuvent pas continuer à piétiner les droits des personnes étrangères, à considérer qu’une preuve a plus ou moins de force selon qu’elle est produite par une personne française ou étrangère.
Certes, mais pourquoi s’engager sur ce dossier et pas un autre ?
Le TA avait procédé à un examen attentif, et la CAA a tout rejeté de façon expéditive. Elle n’a pas exposé son raisonnement juridique, elle n’a pas argumenté sur la valeur des différentes catégories de preuves ; à la différence du TA, elle n’a pas expliqué en quoi, et pour quels motifs, la nature et le nombre de documents produits ne suffisaient pas, selon elle, à établir la présence habituelle de Monsieur.
De plus, la CAA était tenue d’examiner l’ensemble des pièces du dossier, car, selon une jurisprudence bien établie, les pièces produites doivent constituer un faisceau d’indices suffisamment fiable et probant. La CAA ne s’est pas posé la question de savoir si les pièces qu’elle estimait non probantes atténuaient ou pas la valeur probante de l’ensemble du dossier. C’est là qu’on parle de dénaturation des pièces.
Donc on discute avec le monsieur sur l’importance d’aller au Conseil d’État, même si ça n’apportera pas une solution pour lui dans l’immédiat. Procédure longue, onéreuse…
Étape 5 : un recours est déposé au Conseil d’État
On discute avec le bureau national de la Cimade pour prendre en charge une partie des frais d’avocat, il faut convaincre de la particularité de ce dossier, car évidemment, la Cimade ne peut pas soutenir financièrement tous les dossiers qui le nécessiteraient…
Après réflexion sur le caractère emblématique du déni juridique, la Cimade accepte de prendre en charge une partie des frais, Monsieur est d’accord pour aller au CE, c’est parti, on lance la procédure : pourvoi par l’avocat, intervention volontaire de la Cimade. C’était en octobre 2013.
Étape 6 : le Conseil d’État rétablit le droit au séjour de monsieur M.
Après des mois sans nouvelles, une audience en mars puis un arrêt qui tombe le 17 avril 2015 : le Conseil d’État annule l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris !
Le Conseil d’État a considéré, comme le soutenait l’avocat, que, eu égard au nombre, à la diversité et à la nature des documents produits, les juges d’appel ont entaché leur arrêt d’une dénaturation en estimant que la condition de présence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix ans n’était pas remplie.
Certes, c’est là une décision qui concerne spécifiquement la situation de Monsieur B, mais il se peut qu’elle ait une portée bien plus large…