La situation des migrants bloqués à la frontière franco-italienne fermée par la France, vue par La Cimade de Nice.
Le camp du bord de mer, à deux pas de la frontière, est démantelé . A 6 heures du matin arrivent des policiers italiens en grand nombre. Il ne reste plus que 50 étrangers (d’autres sont partis dans la nuit)
L‘expulsion est brutale .Tout est détruit, matériel, affaires personnelles, nourriture, partent dans des bennes à ordures.
Certains réfugiés se regroupent sur les rochers avec les « No Border », et menacent de se jeter à la mer .Des associations françaises tentent d’apporter de l’eau et des vivres mais ne peuvent accéder.
Il y a dans l’après-midi une médiation avec l’évêque italien et Caritas.
Des « No Border » sont mis en garde à vue pour « vol d’électricité et vol d’eau ».
Les réfugiés sont transportés en bus au centre de la Croix-Rouge à la gare de Vintimille.
Voilà ce qui se passe en Italie
La responsabilité de cette situation incombe aux autorités françaises qui bloquent depuis trois mois la frontière entre Vintimille et Menton.
La frontière est fermée depuis trois mois pour les étrangers qui ont l’air de « migrants» et pour tous ceux qui sont noirs.
Les français noirs et les italiens noirs sont sérieusement contrôlés. Et protestent.
Il y a la police nationale, la PAF, la gendarmerie : contrôles coté français, interpellations, refoulements immédiats, dans les trains, les gares, les routes de montagne.
Beaucoup passent quand même en France, par voiture, camion, à pied par les chemins. Il y a des passeurs.La frontière fermée crée les passeurs.
Visite de la frontière entre Vintimille et Menton le 17 septembre 2015
Gare de Vintimille
En délégation, Amnesty, Cimade, Anafé, nous rentrons dans le camp à côté de la gare de Vintimille, géré par la Croix-Rouge italienne, créée par la ville de Vintimille avec la Région.
Nous avions prévenu de notre arrivée et sommes bien accueillies par la responsable de la Croix-Rouge .Il y a du filtrage à l’entrée pour la tranquillité du camp.
L’effectif dans le camp varie chaque jour. Il y a aujourd’hui environ 200 personnes, 40 nouvelles arrivées ce matin ; il y a encore de la place.
Ils sont érythréens, soudanais, pakistanais ; en moins grand nombre des Afghans, Syriens, Sri lankais, Nigérians… Les personnes restent entre un et dix jours.
Ils ne sont pas « fichés », juste un nom sur un papier ; seule la visite médicale le premier jour est imposée.
Ils sont libres de circuler en ville. La ville de Vintimille est sans problème, animée ; il y a de la solidarité. Ils préparent leur départ librement. Tous les matins la Croix-Rouge constate les départs et les arrivées.
Les locaux
De larges chambres, hommes – femmes séparés, dans des locaux en dur. Des WC et douches dans des préfabriqués. Un espace pour les familles (2 aujourd’hui). Un bureau, infirmerie, assistante sociale. Une cuisine bien équipée, une cantine.
Les bénévoles de la Croix-Rouge italienne et de la Croix-Rouge monégasque préparent les repas chauds, tenant compte des coutumes alimentaires. La Croix-Rouge monégasque fournit de la nourriture. Caritas et le Secours Catholique français, qui ont un local à l’extérieur, fournissent des lits pliants, des couvertures, des vêtements, des chaussures.
Les réfugiés
Arrive une adjointe au maire de Vintimille. Avec l’assistante sociale, elle parle avec un groupe de jeunes érythréens qui viennent d’arriver. Parmi eux un garçon qui semble avoir entre 12 et 14 ans, extrêmement maigre et fatigué. Il veut rester avec le groupe. Il retrouve le sourire. Si un mineur est vraiment isolé, il est conduit au commissariat ; sa situation est évaluée et il est placé dans un foyer.
Si certains veulent demander l’asile en Italie, ils sont conduits au commissariat qui entame les démarches ; quelques jours après ils sont emmenés ailleurs. En trois mois, seulement 16 demandes d’asile ! Pour la plupart, ils veulent aller ailleurs
Tous veulent traverser cette frontière fermée et pénétrer en France. On leur explique qu’ils peuvent demander l’asile en France.;.
Ils veulent aller à Calais vers l’Angleterre et l’Allemagne. Ce camp est pour eux une étape : se soigner, dormir,, se nourrir, se laver…surtout se reposer…
La Cimade 06 a fait un don en argent à la Croix-Rouge italienne pour marquer sa solidarité.
La frontière du bord de mer – visite
Depuis quelque temps, il n’y avait plus personne sur les rochers côté italien. Le camp est installé sous le pont du chemin de fer et sous les arbres.
Le camp est organisé par les No Border italiens (plus quelques français) qui font visiter à notre délégation.
Une jeune italienne, qui parle amarik, nous dit qu’ils sont méfiants pour les visiteurs et journalistes.
Il y a des tentes sous les arbres, des matelas sous le pont. Des cours de français et d’anglais sont organisés ; des visites de Médecins du Monde ; des explications et des conseils pour demander l’asile à Nice, à Paris, en Angleterre. Il y a une centaine de personnes aujourd’hui, principalement des soudanais du Darfour. Une cuisine a été installée, la nourriture vient des associations proches, françaises et italiennes..
Depuis juillet, avec la création du camp de la Croix-Rouge à la gare de Vintimille, les autorités italiennes veulent supprimer le camp du bord de mer. Elles proposent aux réfugiés de les transporter à la gare, ou ils seront mieux; certains ont accepté, certains sont revenus.
Ces personnes, et les No Border qui vivent avec eux, résistent et veulent rester là,
Tout est fait pour limiter ce camp « indésirable ».Mais les réfugiés veulent rester pour être tout contre cette frontière qu’ils veulent franchir et les No Border pour que le scandale de la frontière fermée soit visible, sous les feux des projecteurs. Eh oui c’est un scandale….
La Cimade 06 donne des sacs de couchage et des sacs à dos pour marquer sa solidarité.
Le Camp en bord de mer à été démantelé mercredi 30 Septembre.
Le lendemain, Nice-Matin titre « C’est fini ! » ce qui donne raison aux No Border . Les réfugiés sont maintenant à 10 km, moins visibles.
Les réfugiés qui arrivent à Nice et dans les Alpes-Maritimes, quel traitement ?
Ceux qui ont passé la frontière passent par Nice ou s’éloignent des Alpes-Maritimes pour aller dans le nord, tenter d’atteindre Paris, Calais et la Grande-Bretagne, l’Allemagne, ou les pays nordiques.
Nous ne savons pas en évaluer le nombre.
Ce qui est sûr c’est que la France n’est pas très attractive. Ils se sont trouvés durement coincés à la frontière – fermée.
Ils savent que les procédures sont longues, qu’ils ne seront pas rapidement hébergés, qu’ils ne trouveront pas rapidement à travailler.
Ceux qui sont interpellés dans la rue à Nice ou autour. Ils font l’objet d’une procédure de refoulement en Italie ou d’une OQTF pour leur pays d’origine. Ils sont placés au CRA et tentent des recours en référé au Tribunal Administratif.
Il y en a eu une trentaine à ce jour. Un seul recours a été gagné.
Des requêtes en suspension de la reconduite sont déposés devant la CEDH. À notre connaissance six requêtes déposées, deux gagnées.
La plupart sont des Soudanais du Sud. La préfecture et le TA ne les considèrent pas comme des demandeurs d’asile puisque, avec honnêteté, la plupart disent « fuir la guerre » mais vouloir être réfugiés dans un autre pays que la France.
Il n’y a pas eu de reconduite effective à ce jour.
Ceux qui ont réussi à aller à la Préfecture et ont demandé formellement l’asile en France.
À notre connaissance, cela concerne une vingtaine de personnes – Soudanais, Afghans, Syriens, érythréens.
En juillet et en août, avant la nouvelle procédure d’accueil en application de la loi ( à partir de Septembre), la préfecture les mettait en attente pour enregistrer leur demande – parfois plus d’un mois – puis a octroyé des procédures variées : procédure prioritaire, procédure Dublin, procédure normale ( rares).
Il semble vraiment étonnant qu’on puisse en ce moment « dubliner » pour l’Italie des Soudanais, des Syriens, des Afghans, alors que l’Italie les a tous accueillis sur son territoire, survivants de naufrages. L’Italie ne les a pas « fichés » et n’a pas pris d’empreintes.
De par la loi, quelle que soit la procédure, normale, prioritaire, Dublin,l’hébergement doit être obtenue pour tous immédiatement . Or, à ce jour, on est loin du compte.
Le guichet unique OFII/préfecture est mis en place depuis début Septembre.
Nous sommes informés que ne seront reçues que cinq personnes par jour, quatre jours par semaine.
En cas d’afflux, on imagine des retards, alors que les demandes doivent être enregistrées dans les trois jours.
Les mineurs isolés depuis le début de l’été ont été mis dans des internats d’écoles( fermés en été), sans encadrement dans la journée. Depuis septembre, ils sont au CIV – école internationale de Valbonne. Là, les enseignants et les habitants aux alentours sont pleins de bonne volonté pour les entourer . Les adolescents sont là pour une période de 5 jours pour évaluer leur situation et évaluer s’ils serons placés en Foyer de l’enfance. Certains préfèrent retrouver leurs compagnons de voyage.
À ce jour nous supposons qu’ aucun n’a fait l’objet d’un placement en foyer, ni n’a formulé une demande d’asile avec un « administrateur ad hoc » qui aurait été désigné..
L’hébergement des réfugiés et demandeurs d’asile
Monsieur Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, a adressé le 12 Septembre une circulaire aux préfets leur demandant de « mettre à profit le mouvement de mobilisation constaté ces derniers jours pour mettre la France en capacité d’accueillir ces 30 000 personnes (les réfugiés et demandeurs d’asile) en deux ans et de « structurer les initiatives locales » et aussi de « nommer rapidement un coordinateur départemental qui rassemblera les offres de toutes natures émanant des collectivités territoriales et de la société civile, que les maires pourront utilement recenser sur leur territoire«
On apprend que, sur le plan national, ADOMA recense « un gisement de 20 000 places dans des immeubles appartenant à l’État », l‘ AFPA « 7 500 places inoccupées », le ministère de la Défense « 8000 places », Adoma « 5000 places ». (Le Monde du 17 Septembre).
Actuellement nous recevons dans nos permanences d’accueil des demandeurs d’asile en cours de procédure, soit procédure normale, soit procédure prioritaire, soit dublinés, qui sont à la rue ou à l’accueil de nuit, parce que, faute de places d’hébergement, ou parce que célibataires ou adultes sans enfants mineurs.
Toutes ces personnes ont droit à être hébergées dignement et ne le sont pas.
Si l’effort demandé par le Ministre de trouver des hébergements était vraiment effectué, on pourrait sûrement loger correctement tous ces demandeurs d’asile, ainsi que ceux qui arrivent actuellement et arriverons en étant répartis nationalement sur le territoire.
A ce jour, on sait que quatre Syriens, amenés de Calais à Nice, ont été hébergés en CADA et ont eu le statut de réfugiés après dix jours.
Dans l’immédiat, les propositions d’hébergement temporaires par des particuliers ou des organismes privés devraient être accueillies par le Coordinateur.
Nous avons pris contact avec le sous-préfet désigné comme coordinateur, Monsieur Sébastien Humbert, et nous lui avons fait part de nos questions.
En effet à Nice et dans le département, les maires des grosses villes déclarent ne pas pouvoir héberger des demandeurs d’asile faute de logements disponibles. Cependant quelques rares municipalités n’y sont pas opposées. Des organismes proposent des places, ainsi que des particuliers.
Le préfet a répondu par téléphone à un centre d’accueil de groupes offrant quelques dizaines de places pour cinq mois :
« en ce moment, il n’y a pas de besoins dans les Alpes Maritimes de structures pour héberger les demandeurs d’asile
La raison est que la plupart des personnes dont on entend parler dans les médias ne sont pas désireux de s’implanter en France; ils souhaitent demander l’asile en Angleterre, en Allemagne, et dans les pays du nord de l’Europe.
Les personnes qui seront accueillies par la France dans le système des « quotas » dont on parle tant dans les médias seront hébergés en priorité dans des départements où les pressions démographiques et immobilières sont bien moindres que dans les Alpes Maritimes.
L’État français n’envisage pas pour le moment d’accueillir les « migrants » actuellement massés à la frontière italienne, près de Menton. »
Des associations, des groupes, des particuliers se concertent et proposent des solutions. Le réseau Welcome, créée par des jésuites s’agrandit.
Tout cela doit être organisé au grand jour avec la bienveillance de la préfecture.
Par ailleurs, et depuis longtemps, des particuliers hébergent chez eux des demandeurs d’asile, pas ou mal hébergés dans des accueils de nuit d’où ils ont été virés faute de place, après une semaine ou deux.
Nous nous concertons entre associations, nous avons une bonne écoute des milieux protestants, catholiques et laïcs qui peuvent peut être disposer de locaux; nous interpellons le préfet sur ces problèmes d’hébergement.
Nous nous préoccupons des demandeurs d’asiles actuels qui sont en cours de procédure ( nous craignons qu’ils ne soient oubliés dans leur demande d’hébergement) et de ceux qui sont susceptibles d’être envoyés par l’État dans notre département..
Certes, la frontière est fermée et les demandeurs d’asiles qui en viennent sont peu nombreux pour l’instant .Certes beaucoup, qui arrivent en France, ont le souhait d’aller se réfugier dans un autre pays
Pour les raisons évoquées plus haut, mais aussi pour la langue et pour les liens familiaux.
Notre département n’est pas la Hongrie ; nous n’en sommes pas à construire des murs…
Mais la fermeture de la Frontière franco-italienne est un scandale. Les réfugiés demandeurs d’asile sont là, sous nos yeux, derrière les barrières à la Frontière.
La répartition équitable dans les départements voulue par le Ministre de l’Intérieur est ignorée dans les Alpes-Maritimes mais Il faudra bien qu’elle se fasse.
On nous parle d’un CADA supplémentaire, d’un CHRS supplémentaire. C’est très bien si cela se réalise (rapidement ?), mais ce sera un nombre de places limité et ne résoudra pas tous les problèmes.
A voir les statistiques, notre département n’est pas parmi les départements les plus surchargés en demandeurs d’asile. Il est vaste, il est riche, il y a beaucoup de logements libres, de bâtiments vides les offres d’emploi ne trouvent pas preneur dans certains domaines.
Le département doit accueillir sa part limitée, mais toute sa part.
Nous demandons l’ouverture de la frontière, l’accueil des réfugiés, l’abandon de la procédure Dublin.
30 septembre 2015
Source : Cimade 06
Voir aussi un aperçu de la situation en mai 2016