Au terme de six ans de procédure et après un nombre impressionnant de renvois, c’est les 23, 24, 26 et 27 mars 2015 que le Conseil des prud’hommes de Paris (CPH) se réunit pour trancher le litige entre 916 vieux travailleurs marocains et la SNCF, à laquelle ils reprochent les discriminations qu’ils ont subi durant toute leur carrière. Aujourd’hui retraités, les chibanis (« vieil homme » en arabe), reçoivent une pension de retraite trois fois moindre que celle de leurs collègues français.
Ces cheminots ont essentiellement été recrutés au Maroc. Leur contrat stipulait que « Le travailleur doit recevoir, à travail égal, une rémunération égale à celle de l’ouvrier français de même catégorie employé dans l’établissement… L’égalité s’étend également aux indemnités s’ajoutant au salaire. »
Les chibanis cheminots ne peuvent évoluer que sur trois qualifications, contre sept qualifications pour les cheminots français. Il leur a été refusé l’accès aux examens parce qu’étrangers, et même ceux qui occupaient la fonction de maîtrise se sont vu refuser la qualification qui va avec, parce que non français.
La pose et l’entretien des voies ferrées et la manœuvre dans les centres de triage des locomotives sont deux métiers qui ont en commun la pénibilité physique. Ces postes de travail en extérieur par tous les temps n’étaient guère attractifs pour les cheminots français, parce que très durs et peu payés. Ils ont donc été tenus par ces « indigènes du rail ». Il en résulte une santé particulièrement dégradée pour les chibanis.
La discrimination a également porté sur la protection sociale, inférieure à celle de leurs collègues français : les chibanis doivent travailler en moyenne sept ans de plus que leurs collègues français, pour une retraite trois fois moindre. Ils n’ont pas accès à la médecine de la SNCF. Les pensions de réversion aux veuves sont misérables, en moyenne 300 euros, les veuves des autres cheminots n’ont pas à subir cette ingratitude.
À ce jour, beaucoup de ces papis occupent les mêmes postes qu’à leur arrivée, il y a environ trente cinq ans maintenant. Ces cheminots ne sont pas des contractuels comme les autres, un statut défavorable a été créé, sur mesure, pour eux. L’argument premier de la SNCF est qu’« il n’y avait pas de lois interdisant ces pratiques discriminatoires à l’époque, puisque la première législation contre la discrimination date de 2001. » L’égalité de traitement est pourtant inscrite dans la constitution de 1958 mais aussi dans la convention n°111 de l’Organisation internationale du travail, ratifiée par la France en 1958. La Convention européenne des droits de l‘Homme, à laquelle la France adhère, est piétinée. La SNCF ne respecte pas le principe d’égalité de traitement entre des salariés placés dans une situation identique. L’article 64 de l’accord euro-méditerranéen du 27 février 1976, modifié le 26 février 1996, stipule que « chaque État membre de l’Europe accorde aux travailleurs de nationalité marocaine sur son territoire un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité, par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement ».
À ce jour, des dizaines de ces chibanis sont morts, beaucoup au travail, et les autres, encore vivants, ont en moyenne 62 ans.
À la différence de la SNCF, de nombreuses entreprises publiques (La Poste, EDF-GDF, la RATP, Air France etc…), ont depuis longtemps retiré la clause de nationalité discriminatoire, et ont reconnu l’égalité au travail des salariés extra-européens.
Mars 2015
Source
21 septembre 2015. Le tribunal des Prudhommes condamne la SNCF à les indemniser.