Jacques, parti à 13 ans de son pays d’Afrique où il survivait dans les rues en lavant des voitures, arrive à 16 ans à Lyon au printemps 2012, après avoir plus d’une fois failli mourir en route, dans le désert où il a vu d’autres migrants mourir à ses côtés, ou dans le zodiac qui prenait l’eau qui l’a conduit du Maroc jusqu’aux côtes espagnoles. Il témoigne de « l’accueil » qu’il a reçu à Lyon. Son témoignage.
Combien de temps es-tu resté sans problème sous la protection de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) du conseil général ?
Je suis resté tranquille pendant 9 mois à peu près jusqu’à la convocation de la PAF.
Pourquoi cette convocation de la PAF ?
Les éducateurs ont reçu un appel, et pas une lettre, comme quoi j’étais convoqué à la PAF. Mon éducateur m’a dit que ce n’était pas grave, juste comme pour les autres jeunes pour prendre les empreintes vu que j’étais rentré illégalement sur le territoire français…
Et qu’est-ce qui s’est passé quand tu es arrivé là-bas ?
C’est devenu autre chose. Après qu’ils m’aient pris les empreintes, ils m’ont dit que le but n’était pas ça, mais de passer les examens osseux. Mais d’abord ils m’ont demandé si j’avais une pièce officielle sur moi et dit qu’ils allaient voir avec mon pays s’ils la reconnaissaient. Je leur ai donné mon acte de naissance. Après, ils sont revenus et m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème avec mon acte de naissance et que j’allais être obligé de passer les examens osseux.
Et pourquoi ?
Comme tous les autres jeunes qui avaient passé les examens osseux, obligé.
C’était obligatoire ?
Oui, oui, c’était obligatoire, c’est ce qu’ils m’ont dit.
Ils ne t’ont pas dit que tu avais le droit de refuser ?
Non, non.
Tu sais que tu avais le droit de refuser ?
Je ne savais pas, ils ne m’ont pas dit…
Alors comment tu as réagi ?
Ben, je me suis dit que je n’avais rien à me reprocher, et je leur ai dit que j’étais prêt mais que ce n’était pas une machine qui allait leur donner mon âge et que ça servait à rien puisqu’ils avaient une pièce qu’ils avaient contrôlée. Mais je pouvais bien aller passer les tests…
Au même moment ils t’ont amené ?
Oui, au même moment ils m’ont amené à l’hôpital, je ne sais même pas où, c’était un peu loin de Lyon.… La police m’a amené et on a fait le premier examen. C’était de mettre les mains sur une machine. J’ai posé mes doigts et ils ont passé un truc comme un laser. Après ils m’ont dit qu’on va passer un 2ème… Et je leur ai dit « c’est quoi le 2ème ? » Et là ils m’ont présenté une grande machine, une machine que j’avais jamais vue, même chez nous en Afrique, j’ai jamais vu ça. Il m’a dit « vous allez passer là, vous allonger ». Je lui ai dit non, que j’ai déjà passé les autres tests et que là si vous me demandez de m’allonger dans une machine je dis non. Et là franchement je paniquais, ça me faisait peur, je tremblais quand je parlais. Dans une machine comme ça, je ne savais pas ce qui allait m’arriver et il n’y avait personne pour dire ce qui se serait passé. Du coup je leur ai dit : « je ne vous fais pas confiance, je ne veux pas passer dans cette machine ». Ils m’ont dit : « de toutes façons tu devras passer, parce que si tu ne passes pas, c’est que tu reconnais ce qu’on te reproche ». Je leur ai demandé : « vous me reprochez quoi ? » Ils m’ont dit : tu vas passer sur cette machine, et moi je leur ai dit : vous me reprochez quoi ?
Jusque là, ils ne t’avaient pas dit ce qu’ils te reprochaient ?
Non, je ne savais pas… Je ne savais pas…
Et après ?
Là je leur ai dit : « vous allez sûrement m’attacher si vous voulez que je monte », parce que moi je ne voulais pas et il y avait mon cœur qui battait à toute vitesse, j’allais faire une crise. Alors ils m’ont dit qu’ils allaient me ramener puisque je ne voulais pas, mais que j’allais aller en prison et qu’on ne savait pas pour combien d’années. Et quand ils m’ont dit ça je leur ai dit : « mais pourquoi vous allez me mettre en prison, je n’ai rien fait de mal. Pourquoi vous allez me mettre en prison ? » « Parce qu’on te demande de passer les examens, tu refuses et ça c’est de la prison si tu refuses ». Je leur ai dit : « pour les mains j’ai accepté mais je ne pourrai pas me coucher dans une machine, là je ne pourrai pas ». Ils m’ont ramené au poste. Ils m’ont fait signer un papier pour la garde à vue. J’ai encore passé une nuit.
C’était la 1ère nuit ?
Oui, le lendemain ils sont venus dans la cellule et ils m’ont dit que le procureur voudrait me voir. J’ai dit ok. Ils m’ont dit qu’ils allaient m’emmener dans l’après midi et à 3h ils sont venus me chercher. Ils m’ont amené voir le procureur qui m’a dit : « Monsieur, on vous a demandé de passer des examens, vous avez refusé ». J’ai dit : « je n’ai pas refusé, j’ai donné mes mains mais ils m’ont demandé de monter dans une machine, et ça j’ai refusé parce que je ne connais pas cette machine et que j’ai peur et que si quelque chose m’arrivait là-bas il n’y avait personne qui pouvait témoigner que c’était la machine ». Le procureur m’a dit : « non il ne va rien t’arriver, ce n’est pas un truc dangereux, et quand tu refuses si comme si tu reconnaissais ce dont on t’accuse ». J’ai demandé : « on m’accuse de quoi ?». Il m’a dit : « on doit avoir des doutes sur votre âge ». Là je lui ai expliqué que j’avais montré mon papier à la police, et qu’ils ont dit qu’il n’y avait pas de problème, mais je lui ai dit « non sauf si vous vous me donnez votre parole, mais s’il m’arrive quelque chose, vous verrez bien ». Le procureur m’a dit qu’il ne m’arriverait rien et si je voulais le refaire. Alors j’ai dit oui, que c’est juste que j’avais peur, mais que je n’avais rien à me reprocher.
Tu t’es retrouvé dans le même hôpital ?
Oui, et ils m’ont fait coucher et passer sous la machine, le… le scanner.
Après, ils t’ont donné des résultats ?
Après, je ne pensais pas, ils m’ont encore amené à l’hôpital Grange Blanche voir le Dr M qui m’a reçu. Il ne m’a rien dit, il m’a fait juste rentrer, il m’a fait comme un examen, il a mis des appareils sur moi pour écouter comment mon cœur battait. Après il a pris un petit poste ; il parlait dessus, je ne sais pas quoi. Après la police est venue me chercher et m’a dit que c’était à eux que les résultats des examens que je venais de passer seraient donnés.
Tu comprenais pendant tout ça qu’ils pensaient que tu avais plus que 18 ans ?
Non, je ne savais pas ce qui m’arrivait. Les policiers me disaient que j’étais tranquille, et je leur ai dit que oui, que j’étais cool parce qu’il n’y avait rien. Ils m’ont fait passer dans un autre pavillon où ils m’ont fait une prise de sang. Je leur ai dit : « c’est quoi cette prise de sang ». Ils m’ont dit que c’était rien. Et là ils m’ont ramené au poste pour passer une 2ème nuit, et c’est là qu’ils m’ont dit que je devais passer au tribunal le soir. Je leur ai demandé pourquoi je devrais passer au tribunal. Et là ils m’ont dit qu’ils ont fait des examens qui ont donné plus que mon âge que j’avais avec mes papiers.
Et là tu es allé au tribunal ?
Oui, ils m’ont dit que j’avais un avocat d’office, et je leur ai dit que je n’avais pas besoin d’avocat. Non, je n’ai rien fait pour avoir besoin d’un avocat. Ils ont dit d’accord. Mais le foyer où j’étais, ils m’ont envoyé un avocat.
Pendant tout ce temps, tu avais communiqué avec ton foyer ?
Non, mais ils savaient et ils m’ont envoyé un avocat. Il y a un autre point que je ne vous ai même pas dit. Le 2ème jour, c’était la 2ème nuit que je passais là bas, ils sont venus au foyer avec moi avec des menottes et ils sont venus dans ma chambre. Ils ont fouillé ma chambre, je ne sais pas ce qu’ils cherchaient. Ils sont rentrés dans ma chambre, ils ont tout fouillé, fouillé…
Et au tribunal, le juge t’a interrogé ? Tu comprenais mieux de quoi ils t’accusaient ?
Je ne comprenais pas, je ne comprenais pas… Ca me surprenait, il y avait mon acte qui n’avait pas de problème, et les examens qui donnaient autre chose. J’ai demandé au juge : « est-ce qu’il y a une machine qui donne vraiment l’âge ? Je vous ai donné mon papier avec quoi je suis né et une machine dit que ce n’est pas ça ». L’examen du poignet me donnait 17 ans, et c’est le 2ème examen du scanner qui me donnait plus que 17 ans, plus que 18. Le 2ème, ça partait de 18 jusqu’à 20 je crois. Et le 1er entre 17 et 18 ans, 17 et 4 mois je crois.
Le juge était comment?
Je ne peux pas vous dire ce que je ressentais parce que c’était la 1ère fois que je me retrouvais devant un tribunal. Je ne savais même pas ce qui m’arrivait. Je ne savais même pas où j’étais. C’était comme si j’étais entrain de dormir et j’étais en train de faire des rêves. Au tribunal, je ne savais même pas où j’étais, j’étais debout comme ça…
Et quand ils ont rendu le verdict ?
Ils m’ont dit que j’étais libre, que je n’étais pas reconnu coupable de ce qui m’était reproché. Je me suis dit que c’était pour rien tout ça… que j’allais continuer mes études…
Et quand tu e s revenu, tu as parlé à tes copains de tout ce qui t’était arrivé ?
Ah oui, quand je suis arrivé c’était la fête. Ils ont crié. Ils étaient vraiment inquiets. Ils étaient contents de me revoir après 3 jours.
Et ce que tu savais que ce qu’il te faisait ils le faisaient à d’autres que toi ?
Je croyais qu’ils ne le faisaient qu’à moi. Mais la police me disait que les autres étaient passés par là, alors j’ai commencé à comprendre qu’il n’y avait pas que moi.
Après tu as repris tes études, mais au bout d’un certain temps on t’a dit que tu devrais repasser au tribunal. Au bout de combien de temps ?
8 mois, 9 mois par là. Je suis passé en décembre dernier en appel.
Tu te sentais libre entre les deux ou tu savais qu’ils allaient te convoquer de nouveau ?
Je ne savais pas. Je croyais que j’étais libre
Comment tu as vécu cette audience en appel ?
C’était difficile, très, très, difficile. Je ne comprenais pas ce qu’ils me voulaient puisqu’ils m’avaient dit que je n’étais pas reconnu coupable avant. Je ne savais pas pourquoi ils me rappelaient. Jusque là je n’ai pas compris.
Après l’appel de décembre, un nouveau verdict est tombé pour Jacques : 3 mois de prison avec sursis, de quoi satisfaire le Parquet et les procureurs qui travaillent pour le gouvernement selon les objectifs rappelés au Préfets par le ministre de l’Intérieur dans sa circulaire du 11 mars 2013 : « Vous veillerez en lien avec les conseils généraux à lutter contre les bandes organisées qui font entrer en France de jeunes mineurs isolés et détournent le système français de protection de l’enfance ». Ce n’est pas à des bandes organisées que la police et la justice pourrissent chaque jour la vie, mais à des jeunes venus en France avec la seule volonté d’y faire des études et d’y réussir leur vie…
4 mai 2015
Source : RESF Lyon