Comment un mineur étranger isolé s’est retrouvé pour trois semaines à la prison des Baumettes sur un signalement de l’Aide sociale à l’enfance qui l’héberge. Cinq cas rapportés en quelques jours.
Les mains accrochées au garde-corps du box des prévenus, le garçon écoute visiblement inquiet son interprète en langue « soussou » lui dire qu’il est poursuivi pour « détention et usage d’un faux document administration délivré en vue de constater un droit, une qualité, une identité ». Lamine, mineur isolé guinéen, sort de trois semaines de détention provisoire aux Baumettes. Ce 10 novembre, il a eu dix-huit ans en cellule.
« Il était mineur. Il y a une erreur absolue à l’avoir renvoyé devant le tribunal correctionnel. Comment la police a pu enquêter sans son dossier d’assistance éducative dont j’ai eu connaissance cinq minutes avant l’audience ? C’est une grande injustice. Aucun acte d’enquête n’a été diligenté pour authentifier les auteurs de l’escroquerie dont il a été victime avec ses éducateurs » s’est indignée mardi à l’audience de la 11ème chambre Me Frédérique Chartier qui sans même plaider le fond a obtenu du tribunal qu’il se déclare incompétent et le libère. Guinéen né le 10 novembre 1996 à Conakry, Lamine était arrivé en France en mai 2013 avec un extrait d’état civil en poche. Il avait fait l’objet d’une mesure de placement en assistance éducative par un juge pour enfant auprès d’un foyer d’urgence puis à la Pléiade, une « maison d’enfant à caractère social ». Ses éducateurs l’avaient assisté dans ses démarches en vue d’obtenir un passeport, un préalable à sa régularisation. Fin août, un homme se disant intermédiaire auprès des autorités consulaires lui a remis son passeport contre 150 euros de frais de timbre et de transport.
Quand l’ASE fait du contrôle de papiers en foyer
Suspectant un faux, la direction de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a remis le passeport à la Police aux Frontières qui a convoqué le jeune fin octobre. Puis c’est l’enchaînement garde à vue, audition sans interprète, déferrement, prison. Entre temps un examen à la Timone conclut à sa majorité. « Sur la base d’une table de référence des radiographies osseuses qui date de 1930 et qui est constituée à partir des poignets d’enfants de la classe blanche américaine aisée » précise l’avocate.
« Tous ces développements stigmatisant l’arbitraire du parquet, je n’apprécie pas » s’agace le représentant du ministère public piqué au vif. « Ma certitude, c’est que le 27 octobre, l’expertise après examen osseux et morphologique conclut qu’il est majeur. » De justifier les poursuites : « On a affaire à de véritables filières avec des gens se faisant passer pour mineur et ça pèse sur les finances publiques du conseil général. Je souhaite que la France continue d’être généreuse mais qu’on ne me parle pas d’arbitraire des gens du parquet ou des fonctionnaires faisant usage de l’article 40 du code de procédure pénale. » Le-dit texte fonde l’obligation pour tout fonctionnaire de signaler le crime ou le délit dont il a connaissance. Pourtant aucune information judiciaire ne semble avoir été ouverte sur une filière de faux passeports guinéens. On n’a même pas interrogé le gamin là-dessus. Par contre, ces derniers jours, pas moins de quatre avocats marseillais ont déjà eu à défendre des déferrements identiques de mineurs guinéens. A chaque fois, le tribunal a invalidé les poursuites. Dans une des procédures, l’ASE réclamait même à un jeune le remboursement de 90 000 euros de frais de prise en charge d’un jeune hébergé.
Lamine a été libéré à 1h du matin. Personne ne l’attendait devant la porte des Baumettes avec un sac plastic. Un monsieur relâché avec lui l’a hébergé pour la nuit. En langue « soussou », merci se dit « inou walli ».
David COQUILLE
29 novembre 2014
Source : lamarseillaise.fr