La lutte pied à pied d’un groupe de voisins pour garder dans leur quartier une famille qui a choisi la France pour l’avenir de ses enfants mais que l’autorité politico-policière veut mettre à la porte de la France. Reprise d’un billet de blog sur Mediapart.fr.
Les tripes à l’envers
Comme vous le savez si vous avez suivi la mobilisation piréenne de juin et juillet, Temuujin, un enfant de 8 ans, est menacé d’expulsion, avec sa maman Oyuna et son petit frère Tsetsen, tous trois de nationalité mongole.
Temuujin est un ami de mon fils aîné depuis 2 ans, et puisque « cela m’a remué les tripes », je me suis impliqué dans la mobilisation. Aujourd’hui, je ressens le besoin d’exprimer quelques opinions personnelles (donc, qui n’engagent que moi !) sur le sujet… C’est un peu long, désolé, mais on ne peut pas toujours tout faire tenir en deux phrases !
Rappel des faits
Mais auparavant, si vous n’avez pas tout suivi, un petit rappel des faits depuis le début de la mobilisation :
Le lundi 8 juin 2015, nous avons appris qu’Oyuna était convoquée à la gendarmerie le mercredi 10 pour « mise à exécution de la mesure d’éloignement ». Nous avons alors pris quelques renseignements (4 ans de présence en France, à Rennes, Bourgbarré, Piré sur Seiche ; une demande d’asile rejetée ; un titre de séjour accordé pour maladie, puis non renouvelé ; un travail saisonnier chez un producteur de tomates, qui lui propose un nouveau contrat ; Temuujin scolarisé depuis le début ; Tsetsen, né en France, inscrit à l’école pour la rentrée), et logiquement nous nous sommes mobilisés ! Pétition papier et internet, rassemblements, presse, accompagnement à la gendarmerie et pique-nique devant la préfecture.
Cela a permis d’obtenir un geste de la préfecture. Le 10 juin, l’expulsion n’a pas été mise en œuvre. A la place, une nouvelle assignation à résidence de 45 jours a été signifiée à la famille.
Sentant bien que ce délai n’était pas forcément prévu pour réétudier le dossier, mais probablement pour expulser la famille pendant les congés scolaires, nous avons organisé un concert de soutien le 8 juillet, et avons cherché à obtenir le soutien d’élus locaux. Certains sont intervenus plus ou moins directement, plus ou moins discrètement, mais en tout cas nous savons que nous avons eu des soutiens.
Et puis Oyuna a été convoquée à la gendarmerie le 16 juillet, donc nous nous sommes de nouveau mobilisés devant la préfecture puis devant la gendarmerie, mais cette fois lui a été signifiée son expulsion le mercredi 22 juillet à 2h30 du matin. Nous avons organisé un nouveau pique-nique devant la préfecture le mardi 21, et un rassemblement nocturne à l’heure H …
Mais Oyuna a fait le choix de la clandestinité. Elle n’était pas là quand les gendarmes en gilets pare-balle sont venus la chercher…
La disproportion surréaliste
Avant de revenir sur toute l’histoire, je commence par la fin. Mercredi à 2h15 du matin, nous voyons arriver 4 véhicules de gendarmerie. Stationnement rapide et nerveux, sortie des véhicules en claquant les portes. Et voilà onze (oui, onze) gendarmes, en gilets pare-balles ! Mais bon sang, que se passe-t-il ? Eh bien, juste l’expulsion d’une femme de 30 ans et deux enfants de 8 et 3 ans, avec quelques parents d’élèves venus les soutenir. Des parents violents ? Non, des parents qui n’ont jamais fait autre chose que des pique-nique, des rassemblements -même pas sur les routes-, et un concert. Mais alors quoi ? Un risque terroriste ? Je ne vois pas bien où… Le délire, la surenchère… on montre les muscles, « parce que attention, la force publique c’est nous, c’est pas les citoyens, compris ? ». Et oui, c’est comme ça en juillet 2015. On peut vider des camions et des commerces, bloquer des autoroutes, saccager des grilles de préfecture, ou bien encore organiser des rave-party sauvages, sous les yeux de deux gendarmes en polo à manches courtes qui ne disent rien et ne prennent même pas de photos, mais pour une femme et deux enfants à conduire à l’aéroport, il y a onze gilets pare-balle. Logique… vachement proportionné à la situation et au risque. (Ceci étant dit, je trouve assez logique que des agriculteurs soient en colère, à bosser comme des dingues pour ne pas gagner de quoi survivre. Je disais cela juste pour montrer les traitements différenciés des « forces de l’ordre »).
Mais papa, c’est quoi une frontière ?
Tout cela, d’où ça vient ? Les enfants nous ont mis face à l’origine des problèmes de tous les migrants du monde. « Mais papa, pourquoi ils ne peuvent pas rester ? » « Parce qu’ils ne sont pas Français » « Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? Le papa de Untel il n’est pas Français non plus, il devra repartir dans son pays ? » « Euh… non ! Parce qu’avec ce pays-là la France n’a plus de frontière. » « Mais papa, c’est quoi une frontière ? »… rrrrrrrrrrrrraaaaaaaaaaa que c’est difficile d’expliquer des choses aussi incroyablement compliquées ! Ils ont raison nos enfants : pourquoi on s’embête avec des histoires de frontières ? Pourquoi on interdit à certains d’aller où ils veulent et pas à d’autres ? Quand établira-t-on une liberté totale de circulation sur la planète ? Voilà qui serait une belle avancée humaine.
J’entends d’ici certains hurler au risque d’envahissement, ou au risque terroriste, ou je ne sais quelle hypothèse surréaliste… Regardez donc les exemples de zones sans frontières : que se passe-t-il en leur sein ? Aux USA, chaque Etat a ses propres lois, mais la liberté de circulation est totale. Est-ce que les Etats pauvres se dépeuplent au profit des Etats riches ? Non. Certes, il y a plus d’habitants à New-York que dans le Minnesota, mais cela ne met pas en péril la vie des New-Yorkais. Certes, quand il y a un incident grave, il y a des migrations (cyclone et inondations à La Nouvelle Orléans, crise économique à Détroit, …), mais quoi de plus naturel que d’aider des populations sinistrées à sauver leur peau ? De même en Europe. La circulation est quasi-libre au sein de l’espace « Schengen ». Est-ce que les pays riches sont envahis par les populations des pays moins riches ? Bien sûr que non ! Parce que toutes les études le montrent : les migrations massives ne sont que le fait de la misère et de la guerre. Quand des gens ont faim ou risquent de mourir, ils bougent. Et aucune frontière ne peut l’empêcher ! D’où les migrations massives en provenance de Syrie, Afghanistan, Erythrée, Soudan, etc. ainsi que des migrations moins massives mais néanmoins réelles, de pays pauvres qui ne sont pas en guerre, dont la Mongolie.
Et donc, ces migrations massives des pays en guerre et/ou dans la misère, vous pensez qu’on ne peut pas les gérer ? Vous pensez qu’on « ne peut pas accueillir toute la misère du monde » ? La France toute seule, non, mais il y a une sacrée marge ! Aujourd’hui, quelques dizaines de milliers de migrants. Imaginons quelques centaines de milliers. Ce ne serait pas possible ? Devrait-on partager la nourriture ? Non, nous en gaspillons 30%… et déjà il y a des gens qui ont faim, car on est trop bête pour la répartir… c’est sûr qu’il faudrait travailler sur ce point, cela nous mettrait face à notre idiotie ! Devrait-on partager l’eau potable ? Non, nous en gaspillons plus de 20% dans les fuites de tuyaux, et il en tombe presque 900 litres au m² chaque année en France. A peu près 15 fois plus que ce que nous consommons en la gaspillant. Notre problème, c’est qu’on ne la capte pas, pas qu’on en manque ! Devrait-on partager le travail, déjà si rare ? Eh bien, autant qu’aujourd’hui ! La quantité de travail à répartir sur les « actifs », elle est proportionnelle à la consommation. Plus on est, plus il y en a ! Donc qu’on soit plus ou moins ne change pas grand-chose au taux de chômage ! Aurait-on un problème de logement ? On en a déjà un ! Mais ce n’est pas par manque de logements ni de surfaces disponibles ! Aujourd’hui 3,8 millions de logements sont vides. Il suffirait d’en réquisitionner seulement 800 000 pour loger correctement tout le monde (cela ferait d’ailleurs baisser les loyers, ce qui ne plairait pas à tout le monde, mais ceci est encore un autre débat…). On pourrait aisément ajouter 100 ou 200 000 logements à la réquisition pour loger de nouveaux habitants, sans forcer et sans consommer de terres agricoles. En bref, on pourrait bien accueillir beaucoup plus de gens qu’aujourd’hui, sans avoir à se serrer la ceinture.
Ce n’est pas comme au Liban, un pays de 4 millions d’habitants, qui accueille sans broncher 1 million de « frères » syriens, en partageant l’eau et la nourriture devenus rares, parce que tout simplement… ce sont des frères ! La fraternité, c’est ça… C’est sans commune mesure avec ce qu’on demanderait à nos bons Français égoïstes…
Mais revenons-en à la migration de quelques familles mongoles, dont celle de Temuujin…
La Mongolie, c’est autre chose que des steppes et des yourtes
Car ce pays, la Mongolie, n’est pas qu’une carte postale avec des steppes, des yaks, et un peuple nomade vivant en yourtes. C’est surtout des bidonvilles, des mines (la principale ressource du pays) déversant comme toutes les mines du monde un flot de boues toxiques (avec arsenic, métaux lourds, etc.) dans les nappes phréatiques et les rivières, causant des troubles majeurs de santé. Voir le reportage du Monde.
Et la tradition d’accueil de la France ?
Face à cette situation difficile, les Mongols obtenaient relativement facilement l’asile en France il y a quelques années. Mais voilà, depuis la présidence Sarkozy, les conditions se sont durcies… et le ministère de l’intérieur de Valls a encore durci les choses (la gauche est maintenant plus à droite que la droite sur ce sujet !!). Bref, désormais, terminé l’asile pour les Mongols !
Reste la santé…
Voilà pourquoi en 2011, c’est uniquement pour une raison de santé qu’Oyuna a pu rester un peu. Elle a donc commencé à s’insérer. L’enfant à l’école, un travail pour vivre, et des cours de Français. Puis un deuxième enfant né en France. Je précise pour couper l’herbe sous le pied de certains : donc des cotisations sociales payées, et des impôts puisqu’il y a au minimum la TVA à chaque fois que quelques courses sont faites…
Mais alors, pourquoi ?
C’est là que nous entrons dans le domaine que je maîtrise le moins (même pas du tout !). Je sais juste que le médecin de l’Agence Régionale de Santé a estimé que désormais elle pouvait être soignée en Mongolie. Et peu importe quel est l’accès réel, effectif, aux soins en Mongolie (pas de sécu…). Donc, plus de raison de santé pour rester en France. Donc fin du titre de séjour. Donc Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF en jargon du droit des étrangers). Donc au final, expulsion. Il y a eu des appels, des recours, des passages au tribunal, et nous en arrivons au 8 juin, date où l’on découvre tout cela. Et beaucoup m’ont dit : « mais Tsetsen, il est né en France, donc il est Français ! ». Et bien non, plus depuis Pasqua ! Il faut qu’il atteigne 13 ou 18 ans et qu’il prouve sa présence continue en France ! Le droit du sol est déjà quasiment mort. Il n’y a donc plus besoin de le supprimer, comme Sarkozy le propose depuis qu’il est « revenu »… bref.
Les tripes à l’envers
Depuis le 8 juin, j’ai les tripes retournées. J’ai toujours trouvé dégueulasse de renvoyer des étrangers dans un pays où les conditions de vie sont difficiles. J’ai toujours trouvé idiot d’avoir des frontières, donc des règles incroyablement compliquées pour savoir qui pouvait ou ne pouvait pas les franchir. J’ai toujours trouvé dévastateur de renvoyer des enfants et des familles en train de s’intégrer. Mais là, aujourd’hui, ce n’est plus à la radio ou dans mon journal (je ne regarde plus la télé depuis longtemps !), c’est un ami de mon fils. Je lui dis bonjour presque tous les jours, j’entends parler des jeux dans la cour, des lectures en classe, des blagues faites aux filles, etc. etc. Mais bon sang, on ne peut pas laisser passer cela ! Les tripes à l’envers… Et les tripes à l’envers, cela me donne une énergie étrange, qui me pousse à la lutte sans pouvoir m’en empêcher. L’injustice provoque chez moi la révolte, un devoir d’indignation comme dirait Stéphane Hessel. Notre devoir d’humain, c’est de nous élever contre ce qui est injuste. Nous en sommes là…
Personnellement, je trouve cette situation injuste parce que pour moi on ne devrait interdire à personne d’habiter où il veut. Pour d’autres, cette situation est injuste parce que cette famille fait des efforts d’intégration et travaille. Quelle que soit la façon de voir (universaliste, ou par une distinction entre « bons » et « mauvais » immigrés), c’est impossible d’accepter cette expulsion. PS : je pourrais demander à mon pote Fab de vous refaire le sketch des Inconnus sur les bons et les mauvais chasseurs. J’y pense souvent quand on me parle de bons et de mauvais immigrés ! Bref…
La mobilisation… plus forte qu’espéré !
Alors, chacun avec ses raisons, s’est mobilisé. Cela a donné de beaux rassemblements, de solidarité, d’ouverture à l’autre, de respect des différences, et de tolérance. J’ai été et je suis toujours admiratif de l’élan qui s’est créé autour de cette famille. Je n’imaginais pas que tant de gens à Piré et aux alentours seraient touchés et se sentiraient concernés. Tout d’abord, c’est l’occasion pour moi de remercier tous ceux qui ont fait un geste, petit ou grand, unique ou répété, pour soutenir Oyuna et les enfants. Ensuite, je dois dire qu’au vu des résultats électoraux que j’analyse depuis 10 ans de vie à Piré, je m’étais fait à l’idée d’une terre « de droite », donc alignée sur les thèses « de droite » en matière d’immigration. Alors aux premières heures de la mobilisation, je me disais que ce serait difficile de trouver suffisamment de soutiens. Eh bien heureusement, cela n’est pas si simple qu’une analyse « droite-gauche »!… A l’occasion de ces diverses mobilisations, j’ai rencontré des gens « de droite » sur certains sujets mais très « à gauche » sur d’autres. De quoi nuancer bien des votes… Et puis j’ai vu aussi que même les gens qui assument la notion de frontière et de strict contrôle à l’entrée, considèrent qu’une fois qu’il y a un début d’intégration, il faut arrêter d’embêter les immigrés… On peut ajouter que la « gauche » au pouvoir actuellement est quand même très « à droite » sur de nombreux sujets, en matière d’immigration comme sur tant d’autres. « Avant », la gauche assouplissait les règles, quand la droite les durcissait. Aujourd’hui, la gauche durcit les règles déjà strictes de la droite…
En voilà assez pour briser toutes les frontières idéologiques ! Tiens, une histoire de frontières, encore… brisons-les donc une bonne fois pour toutes, ces frontières !
La loi c’est la loi
On en est arrivé à se révolter contre une situation d’injustice, alors que la loi est respectée. Voilà une sacrée leçon pour nos enfants. On leur apprend à respecter les règles, donc la loi. On leur apprend que ces règles, la loi, sont définies démocratiquement en France (enfin… mais cela est une autre histoire), et que donc il faut respecter ces règles. Et là, on a une situation légale mais complètement injuste. Personnellement j’avais prévu d’expliquer à mes enfants aux alentours de l’adolescence, que parfois il y a des situations « légales mais pas morales » (les copains de Thomson se souviendront…), et qu’on peut alors s’insurger, pour faire changer la règle, et parfois même pour ne pas la respecter… Eh bien voilà, la leçon est désormais faite, à 6 et 8 ans, ils ont compris en un seul jour. Le cadet a même dit à la maîtresse, qui décrivait l’expulsion comme un fait inéluctable, que « nous, on n’est pas d’accord ». Le 9 juin, alors que je disais à un parent que ça pourrait faire un sujet de philo pour le bac « ce qui est légal est-il légitime ? », une enfant de 10 ans a répondu du tac-au-tac : « ben non, la preuve ! ». Nos enfants ont grandi, ont mûri d’un coup. La loi c’est la loi, mais ce n’est pas une boussole. En particulier quand la loi de la République Française ne respecte aucun des 3 piliers de la devise : ni liberté, ni égalité, ni fraternité, dans ce cas précis.
La loi, on l’applique comme ça arrange
Entre le 8 juin et aujourd’hui, on en apprend des choses… Je suis encore très loin de m’y connaitre en matière de « droit des étrangers », mais j’ai déjà découvert que chaque préfecture a une marge de manœuvre pour faire du cas par cas. Officiellement c’est pour prendre en compte des situations personnelles, humaines, voire humanitaires. Mais en pratique, cela semble être pour réguler… réguler des quantités de population par nationalité, éviter des regroupements lorsqu’il y a eu des affaires de délinquance impliquant telle ou telle communauté, faire de la place pour certaines nationalités quand le Président s’est engagé sur la scène internationale mais qu’il ne faut pas que le chiffre total d’immigrés augmente, etc. Je répète que ce que j’écris ici n’engage que moi, et que ce ne sont que des impressions, des suppositions même. Mais bon, de drôles d’impressions tout de même… Comment expliquer que toutes les préfectures n’ont pas les mêmes façons d’appliquer les mêmes règles ? Comment expliquer que les critères soient si différemment appréciés ? Comment expliquer que les chiffres soient maintenus si bas alors que le nombre de situations catastrophiques augmente (Syrie, Afghanistan, Erythrée, Soudan, etc) ?
Des non-dits insupportables
Donc, je sens qu’Oyuna, Temuujin, et Tsetsen sont victimes de phénomènes qui les dépassent. Ce sont toutes ces questions de « régulation » évoquées précédemment, mais aussi probablement des questions liées à leur entourage proche. Je peux le dire ici, puisque Ouest-France a rendu publique l’information. Le papa des enfants, Mongol lui aussi, est en prison. J’entends vos « pourquoi ? ». Mais je ne sais pas ce qu’il a fait, et cela ne m’intéresse pas, même s’il y a des rumeurs à Piré. Du reste, si je le savais je ne le dirai pas. Ce que je sais, c’est qu’Oyuna et les enfants n’ont rien à voir avec cela. De plus Oyuna et lui ne sont pas mariés, et ils ne sont plus « ensemble ». Donc ce sont des situations disjointes. Mais je ne peux m’empêcher de penser que la préfecture expulse probablement la famille pour éviter que le papa ne reste là une fois qu’il sera sorti de prison. Voilà encore une très mauvaise raison d’expulser ! Encore une injustice contre laquelle nous devrions nous insurger, si elle était avérée ! Si un papa fait des bêtises, qu’il aille en prison, ok, mais pourquoi punir les enfants ? Pourquoi leur retirer toute chance d’aller à l’école, de vivre décemment ? Si un papa français fait des bêtises, est-ce qu’on éloigne la maman et les enfants de leur ville ? Evidemment non, on ne condamne pas des gens qui n’ont rien à voir ! Et je pousse plus loin : quand le délinquant « étranger » a purgé sa peine, pourquoi ne peut-il pas vivre où bon lui semble ? S’il fait d’autres bêtises, traduisons-le à nouveau devant un tribunal ! Ne punissons pas les enfants qui n’ont rien demandé !
J’entends aussi qu’en Ille-et-Vilaine, les critères se sont durcis pour les Mongols. Je ne peux m’empêcher de penser au démantèlement récent de réseaux délinquants impliquant des Mongols… Je ne peux m’empêcher de faire un lien, mais j’espère que je me trompe. On ne peut pas imaginer qu’on évite l’arrivée de Mongols parce qu’il y a eu d’autres Mongols délinquants. Non cela doit être impossible. C’est comme si je disais : « il y a des Mongols délinquants, donc tous les Mongols sont suspects ». Incroyable ! Dans cette phrase, si je remplace Mongol par une ethnie ou une religion, cela rappelle des heures sombres de notre histoire, et je crois même que cela est répréhensible par la loi. Donc cela ne peut pas être ainsi dans une préfecture, n’est-ce pas ?
Une sensation de déjà-vu…
Pour revenir à mes tripes, je dois dire que je retrouve des impressions déjà rencontrées. C’était un tout autre contexte, dont on pourrait dire a priori qu’il n’a rien à voir. Mais les tripes, elles, trouvent que c’est pareil ! C’était il y a 5 ans exactement, en 2010, lors de la lutte contre la « restructuration » et le PSE à Thomson. Le même sentiment d’injustice, la même colère qui pousse à lutter « à fond », les mêmes réflexes dans la rédaction de communiqués, dans l’organisation d’actions (sauf qu’on ne peut pas faire grève !), dans les contacts avec la presse, dans les prises de parole en public, etc. La même difficulté à conserver uni un mouvement dont les membres ont des motivations et des souhaits divers… Mais aussi et surtout, la même surdité chez l’autorité décisionnaire, le même décalage insupportable entre ceux qui ont le pouvoir, qui pensent qu’ils ont forcément raison, qui n’imaginent pas un instant pouvoir se tromper, et ceux de la vie réelle, au plus près de la situation concrète, qui croient en leurs convictions, en la force de la démocratie et de la citoyenneté revendiquée.
La révolte, toujours et encore
J’oserais dire, en l’assumant totalement, que même s’il n’y a pas ici de « propriété du capital », on retrouve le même décalage « de classe » entre les possédants (du pouvoir) et le peuple. En me lisant vous pourriez me taxer de communisme primaire… eh bien vous n’auriez pas totalement tort ! Les analyses de Marx et Engels sur le fonctionnement « bourgeois » sont toujours terriblement actuelles. Relisez-les ! Sauf que je ne revendique pas ici la dictature du prolétariat, mais rien de moins qu’un truc de fou : la démocratie ! La démocratie n’existe pas en entreprise, seul le propriétaire décide. Cela s’appelle le capitalisme, et nous vivons dans ce système (on pourrait imaginer un autre système, mais c’est un autre débat). En principe, d’après ce qu’on nous apprend et ce qu’on nous rabâche dans les médias, nous devrions être en démocratie en dehors de l’entreprise. Eh bien moi j’ai ce sentiment étrange que dans le cas présent, le représentant local de la République –le préfet-, ne respecte pas la volonté des habitants de ma commune. Vous pourriez me répondre que la démocratie de la Nation toute entière s’impose à ma petite commune. C’est la fameuse « autorité de l’Etat », formule à l’emporte-pièce qu’on sort quand on n’a plus d’argument ! Mais je vous rétorque sans ciller : avons-nous voté pour cette politique-là en 2012 ? L’autorité de l’Etat ne serait-elle pas plus naturelle, plus saine, mieux acceptée, si elle tenait compte réellement de la volonté du peuple ? Est-ce de l’autorité ou de l’autoritarisme ? Je pourrai parler de politique économique, de politique sociale, des grands projets inutiles comme l’aéroport NDDL, etc etc. C’est partout et toujours la même façon de gérer, éloignée de la volonté du peuple. Mais ne mélangeons pas tout, et revenons à ce qui nous préoccupe ici.
A tout point de vue donc, dans les grands principes comme dans les détails concrets, je retrouve les mêmes sensations qu’en 2010. Les tripes ont de la mémoire… et elles se révoltent encore !
Et donc, maintenant ?
Bon, maintenant que j’ai dit tout cela, je n’ai aucune idée de ce qui peut se passer ou ne pas se passer pour Oyuna et les enfants. Je pourrai tenter de lister les possibilités juridico-administratives, ou même les alternatives illégales comme ce qu’elle vit actuellement. A coup sûr je me tromperai, car je ne connais pas assez le « droit des étrangers ». De plus, permettez-moi de ne pas m’immiscer là-dedans ni dans les choix d’Oyuna…
Respectons ses choix
Depuis la dernière convocation à la gendarmerie, j’entends certaines personnes comparer les situations, échafauder des plans et des stratégies, faire des suppositions sur les « pensées » des fonctionnaires préfectoraux, tout cela pour tenter de voir ce qui serait mieux pour la famille. Je me permets de leur dire amicalement que cela ne sert à rien… D’abord, parce qu’une avocate et (au moins) une association suit la famille. Sur le plan juridico-administratif, laissons faire les professionnels et les spécialistes. Nous ne serons pas meilleurs qu’eux. A eux le juridique et l’administratif, à nous le soutien et la mobilisation. Ensuite, parce que nous ne sommes pas à la place d’Oyuna. Nous ne savons pas ce qu’est la vie en Mongolie, ni quelle est son histoire personnelle, ni qui sont ses amis, ni où ils sont, etc. Nous ne ferons jamais de meilleur choix qu’elle. Enfin, il faut aussi être compréhensif quand elle semble longue à faire un choix. Ce doit être incroyablement difficile de faire des choix sous la menace d’une expulsion, ou comme aujourd’hui dans une situation clandestine. Elle vit avec un pistolet sur la tempe, sous la peur des gendarmes, qui utilisent des moyens surréalistes. Elle est acculée à choisir entre des solutions toutes mauvaises (la misère ou la clandestinité). Forcément, c’est difficile. Elle a du mérite de ne pas craquer, de continuer à assumer… on aurait tous du mal dans cette situation, c’est évident…
Toujours là
Donc, personnellement, je veux dire à Oyuna, comme à vous tous, et aussi à la préfecture et aux forces de « l’ordre », que je suis et serai toujours là pour aider la famille. Cet été s’il le faut, à la rentrée, après la rentrée, dans un an, ou n’importe quand. Je serai là parce que…
Parce que je conteste toujours cette volonté d’expulser des étrangers, cette politique du chiffre, cette chasse démagogique aux migrants et aux étrangers, cette course idéologique derrière l’extrême droite alors même que cela ne fait pas revenir ses électeurs, et plus généralement tout ce fatras inextricable de règles basées sur la notion de frontière ;
Parce que, quoi qu’on pense de cette politique en matière d’immigration, la famille dont on parle s’intègre parmi nous à Piré, et personne ne s’en plaint ;
Parce qu’on ne peut pas à la fois dire à des gens « intégrez-vous », et leur dire au bout de 4 ans qu’ils le font, « partez ! » ;
Parce que Temuujin et Tsetsen ont droit à la scolarisation et à un avenir décent comme mes propres enfants ;
Parce qu’Oyuna a des (oui, des !) propositions de travail (au passage, du travail que les « bons français » ne veulent pas faire… mais c’est encore un autre sujet…), parce qu’elle a cotisé, parce qu’elle le pourrait à nouveau, parce qu’elle paye chaque jour des impôts comme nous tous ;
Parce qu’Oyuna prend des cours de Français, a surtout un problème de timidité pour progresser à l’oral, et que la timidité ne peut être un motif d’expulsion, et parce qu’on n’apprend pas tous à la même vitesse ;
Parce qu’il serait indécent et scandaleux de lier sa situation à celle de compatriotes délinquants et même à celle de son ex-conjoint.
Parce que certains ne devraient pas oublier comment leurs parents ou eux-mêmes sont entrés en France, ni dans quelle langue sonne leur nom. C’est tout de même un comble que ce soient des enfants d’immigrés (suivez mon regard), et même des immigrés (suivez mon deuxième regard) qui définissent et appliquent une politique aussi dure en matière d’immigration…
Parce que les grands Hommes « issus de l’immigration » sont nombreux, et que Temuujin et Tsetsen sont peut-être de prochains grands scientifiques, artistes, préfets ou ministres, ou tout simplement d’honnêtes hommes, aussi méritants que chacun d’entre nous…
Parce que quelle que soit la situation d’Oyuna vis-à-vis du droit, quels que soient ses choix de vie, je resterai solidaire, fraternel au sens de la Fraternité de notre devise Républicaine.
Parce que j’ai les tripes à l’envers…
13 août 2015
Source RESF 35 et Mediapart