Témoignage d’un sans-papier arrêté et frappé par la police

À Barbès, quartier très fréquenté par les étrangers pauvres, souvent sans papiers,  la pression policière est quotidienne. La Mairie et les investisseurs locaux voudraient que ce quartier deviennent le nouveau « lieu branché » de Paris.
La ré-ouverture du cinéma Louxor et la nouvelle brasserie qui va bientôt ouvrir ses portes en sont de bons exemples.

Les chantiers de construction de nouveaux logements en accession à la propriété se multiplient pour accueillir de nouveaux habitants plus riches et plus bobos.

La police quadrille les rues pour tenter de virer celles et ceux qui ne correspondent pas aux projets de ceux qui nous gouvernent : pauvres, biffins, sans papiers , etc.

***

Le dimanche 8 mars 2015 A. intervenait pour aider un jeune homme, (un mineur sans papier pris en charge par l’ASE), qui sous le porche d’un immeuble subissait des violences de la part de policiers du 18ème arrondissement de Paris.
Alors que le jeune homme réussissait grâce à cette intervention à échapper aux coups de ses agresseurs, A. a ensuite subi l’acharnement et les coups des policiers, dehors lors de son interpellation, mais aussi à l’intérieur du commissariat. Son témoignage.

« J’étais à Barbès vers 18h, j’étais au snack. Après manger je suis sorti et j’ai vu trois policiers qui arrêtaient quelqu’un : ils l’ont rentré dans un hall d’immeuble, ils lui ont mis une claque, ils l’ont frappé avec l’électricité (taser) et l’ont gazé. Je me suis arrêté pour aider le gars. Les flics m’ont rentré dans l’immeuble, ils m’ont mis une claque et m’ont frappé avec une matraque. Ils m’ont donné plusieurs coups sur la tête. Je perdais beaucoup de sang.

Après on est sortis de l’immeuble et j’ai crié que je devais aller voir le médecin, qu’ils m’avaient frappé, que j’avais mal. Il y a un commerçant qui vend des portables qui est sorti et qui a filmé. Les gens dans la rue étaient choqués, ils ont crié.

Les flics m’ont ramené à pied au commissariat de la Goutte-d’Or parce qu’ils disaient que j’allais salir la voiture.

Au commissariat ils m’ont encore frappé, mis des coups de pieds. J’étais allongé par terre et un policier mettait son pied sur ma tête. Tous les policiers rigolaient sur moi. Ils disaient que j’allais avoir des cicatrices toute ma vie, ils criaient «mort ». Ça a duré 30 minutes.

Il y a un gradé qui est arrivé j’ai demandé d’aller à l’hôpital. Les pompiers sont arrivés, ils étaient choqués de voir ça. Un pompier m’a dit qu’ils allaient m’amener à l’hôpital. Je suis resté avec eux dix minutes au commissariat et ils m’ont mis dans le camion. J’avais perdu beaucoup de sang. Les policiers sont venus avec nous, on était dans le camion mais on a mis du temps a partir.

À l’hôpital j’étais mal, j’ai été soigné. J’ai attendu le médecin, il était choqué. Il m’a mis des agrafes, 8 sur le crâne et 7 sur la tempe. Ils m’ont donné un certificat et une ordonnance mais les policiers les ont pris.

Après je suis retourné direct en garde-à-vue. J’avais perdu beaucoup de sang, j’avais très mal. Il était 20h30. J’ai demandé des médicaments mais ils m’ont dit « attends ». J’ai demandé un avocat, un interprète, un médecin, mais rien. Jusqu’à 2h du matin, j’ai attendu pour avoir des médicaments. Là ils m’ont amené a l’Hôtel-Dieu, il m’a
donné quatre Dafalgans. Là-bas une infirmière était choquée que j’étais en garde-à-vue dans cet état.

Après ils m’ont ramené en garde-à-vue.

Le lendemain un policier m’a auditionné. Les policiers ont marqué dans le PV que j’avais frappé les policiers dans le gilet pare-balle. Mais moi je l’ai pas frappé. Moi j’ai reçu des coups de matraque et ils ont dit que j’étais tombé tout seul pour les cicatrices. Mais comment on tombe deux fois sur la tête ? Ils ont fait que mal me parler. J’ai signé aucun de leurs papiers.

Après je suis retourné dans la cellule. La garde à vue devait finir à 18h30. J’ai tapé dans la porte de la cellule pour dire que ma garde-à-vue elle était finie. Ils ont voulu que je signe une feuille qui disaient que j’avais fini la garde-à-vue mais j’étais pas sorti encore alors j’ai pas signé. Ils m’ont dit qu’ils attendaient le procureur. Je suis resté plusieurs heures comme ça, mais ils m’ont pas dit qu’ils avaient renouvelé la garde-à-vue, personne ne m’a rien dit ou n’a ramené de feuille, jusqu’au lendemain à 11h.

Là un policier m’a dit « tu vas aller a Vincennes » J’étais content car je sortait du commissariat, j’en pouvais plus de rester dans le commissariat.

J’avais rien signé dans le commissariat. Là le policier a ramené les feuilles pour Vincennes alors j’ai signé car c’était un cauchemar le commissariat. Ils m’ont mis dans le camion de la police pour m’emmener à Vincennes.

Le policier qui m’a frappé, il a frappé un mineur avant qui habite à l’hôtel.

Mes affaires sont toujours avec le sang. C’était comme un robinet comment je perdais du sang. Toutes mes affaires sont salies avec du sang, les baskets, mon tee shirt, mon pantalon. Je vais passer devant le juge comme ça.

Là j’ai mangé un peu, j’ai récupéré un peu mais j’ai toujours des douleurs dans le crâne.

J’ai même pas eu un scanner, des fois j’oublie des choses, car j’ai pris des coups de matraque sur la tête et j’ai mal, j’ai eu que du Doliprane. J’ai perdu plein de sang et de kilos pendant la garde-à-vue.

J’ai un film dans ma tête, tout repasse dans ma tête, j’arrive pas à dormir. Les policiers m’ont fait beaucoup de mal. »

Après plus de 40 heures de garde à vue et un passage par l’hôpital où il sera recousu à 2 endroits différents au niveau de la tête (15 agrafes en tout) A. est envoyé au centre de rétention de Vincennes. Là il fait des démarches pour porter plainte et l’IGS vient l’entendre lui demandant ensuite de reprendre contact avec eux à sa sortie. Un policier du commissariat, celui que A. désigne comme l’auteur principal des coups et qui est bien tristement connu parmi les sans papiers et vendeurs à la sauvette de la Goutte d’Or, porte plainte également contre notre ami.
A. ressort au bout de 5 jours du centre de rétention de Vincennes suite à un vice de forme : pas de procès verbal de prolongation de garde à vue… heureusement c’est difficile de frapper et insulter et de remplir en même temps les tâches administratives…
Dès que A retourne dans le quartier de Barbès il commence à subir harcèlement et menaces des policiers qui en permanence sillonnent le quartier : trois contrôles d’identité en une heure, policiers qui s’approchent et lui appuient leur tonfa sur les côtes (mercredi alors qu’avec des amis nous discutons avec A. j’assisterai d’ailleurs à un de ces petits signaux spéciaux destinés à mettre la pression de la part des policiers, à ce moment là le signal resta courtois et lointain car nous étions plusieurs avec A. et notamment des personnes « visiblement avec papiers » c’est à dire avec des têtes de français/es).
Très vite A. se rend à l’IGS, et là il se fait envoyer promener : si il n’a pas de papiers il ne peut pas porter plainte. On imagine par contre que la plainte du policier de la Goutte d’Or va elle prospérer…

11 mars 2015

Source : Sans papiers ni frontières