DROIT D’ASILE ET PREUVE (CESEDA et CEDH) : Vers un renforcement du « droit » à une procédure équitable des demandeurs d’asile et une meilleure prise en compte de leurs traumatismes ?
Par Nicolas Klausser
Par un arrêt du 10 avril 2015, le Conseil d’État a appliqué pour la première fois la position de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), adoptée dans des arrêts rendus en septembre 2013, concernant l’évaluation des documents médicaux dans les procédures d’asile. En l’espèce, le Conseil d’État a annulé la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour erreur de droit faute pour celle-ci d’avoir dûment tenu compte d’un certificat médical présenté par le demandeur d’asile. En effet, ce certificat corroborait le récit de l’intéressé concernant les risques qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine. Désormais, la CNDA doit donc prendre en compte les pièces qui « comportent des éléments circonstanciés en rapport avec les risques allégués », et « préciser les éléments qui la conduisent à ne pas regarder ceux-ci comme sérieux ». Cette décision, qui met en exergue certaines pratiques critiquables de la CNDA et de l’OFPRA, devrait sensiblement modifier l’appréciation des demandes d’asile lorsqu’elles sont appuyées sur des certificats médicaux.
« Avec le temps, la mémoire du rescapé se modifie, mais pas pareillement selon les uns et les autres. On oublie certains détails et on mélange d’autres détails. On confond les dates et les endroits. Une personne vous dira une fois qu’elle a reçu des coups de machette, et la fois suivante qu’elle a reçu un coup de massue. C’est seulement une façon différente de se souvenir, de raconter. D’une part, on oublie des choses, d’autre part, on apprend de nouvelles informations de bouche à oreille ». Ces propos tenus par un rescapé du génocide rwandais illustrent la difficulté rencontrée par de nombreux demandeurs d’asile à raconter les atrocités vécues. Ces difficultés amènent une partie d’entre eux à tenir des propos trop imprécis ou incohérents devant les instances en charge du droit d’asile, qui les déboutent de leurs demandes sans même prendre en considération les pièces produites qui pourraient « rééquilibrer » ces imprécisions. Le Conseil d’État, davantage, semble-t-il, pour des motifs juridiques que des considérations sur le profil psychique des demandeurs d’asile, est venu rétablir la notion de bon sens dans la motivation des décisions de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) : il considère que cette dernière commet une erreur de droit en écartant une pièce (en l’espèce, un certificat médical faisant état de blessures et de traumatismes de façon circonstanciée) produite par le demandeur « sans chercher à évaluer les risques que cette pièce était susceptible de révéler ni préciser les éléments qui la conduisaient à ne pas les regarder comme sérieux » (cons. 4 de l’arrêt commenté).
Le requérant, de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoule, s’est vu refuser une protection internationale par une décision du 25 août 2011 de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Face à ce rejet, il a exercé un recours auprès de la CNDA. Devant celle-ci, il a produit un certificat médical afin de prouver la véracité des blessures et traumatismes qu’il dit avoir subi dans son pays d’origine. Toutefois, la Cour a jugé, par une décision du 22 juillet 2013, que le caractère sommaire, imprécis et contradictoire de son récit ne permettait pas d’établir la réalité des risques qu’il serait susceptible de courir en cas de retour dans son pays d’origine, et n’a pas jugé nécessaire de prendre en compte le certificat médical, qui ne saurait « suffire à modifier la présente analyse », ni à justifier pourquoi elle ne le prenait pas en considération. Face à cette décision, le requérant s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État.
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CE, 10 avril 2015, B. A. B., n° 372864
Pour citer ce document : Nicolas Klausser, « Vers un renforcement du « droit » à une procédure équitable des demandeurs d’asile et une meilleure prise en compte de leurs traumatismes ? », in Revue des droits de l’homme, 8 mai 2015.