Le cynisme des agents du pouvoir envers les jeunes étrangers isolés

Ce matin du 21 mai 2015, manifestation de soutien aux jeunes étrangers de Nantes.

Devant le CHU (hôpital), pas mal de monde, la grande famille, des enragées, des engagées, ces jeunes étrangers que le conseil général ne saurait voir, deux étudiantes venues suite au tractage d’hier devant la fac de droit, désireuses de voir la pratique, si différente, trouvent-elles, de la théorie. Au passage, elles voulaient savoir si elles pouvaient devenir bénévoles à la Cimade sachant qu’elles n’étaient qu’en deuxième année de Licence de droit.

Puis An. me présente T. avec son blouson bleu en m’expliquant qu’hier, il a été reçu par le conseil général qui lui a dit que sa prise en charge était terminée, qu’il devait s’adresser aux associations pour la suite. T/ vient du Mali, il m’explique que le monsieur lui a bien dit qu’il devait « quitter la chambre » et il me tend aussi le livret ouvert que l’homme en question lui a remis au moment de lui annoncer la fin de sa prise en charge.
Je regarde la première de couverture, le livret s’intitule « Bienvenue ». C’est le livret élaboré par le  Conseil Nantais pour les Citoyens Étrangers, qui commence sur son site par nous rappeler que « Nantes est une ville ouverte sur le monde qui accueille chaque année de nouveaux Nantais des cinq continents. Elle est riche de la diversité de tous ses citoyens de résidence qui habitent à Nantes, y travaillent, et blablabla et blablabla » Sur la page ouverte que me tend T., je lis trois noms d’associations surlignées par l’homme en jaune fluo : AIDA, le Gasprom et La Cimade. En fait, ce matin 20 mai, T. a été jeté dehors par les services de la protection de l’enfance et il croit que grâce à ces associations, il va retrouver ce soir un toit. Premier événement violent de la journée.

Puis la moitié du groupe se rend dans le CHU, en direction du service de médecine légale où sont pratiqués les tests osseux, entre autres. Les jeunes ont préparé des pancartes sur lesquelles ils ont écrit à la main, des pancartes faites avec amour comme dirait Ar., des bribes de leur arrivée à Nantes, notamment les tests médicaux, ces tests humiliants qu’ils ont subis à leur arrivée ou plus tard, certains deux fois, et parfois avec des résultats différents.
A un moment, quelques personnes reviennent et nous annoncent que le Docteur Clément, chef de service, est prêt à rencontrer une délégation. Et là je me dis que ça vaut la peine de manifester : tous les courriers envoyés au service de médecine légale ou radiologie sont restés sans réponse et aujourd’hui, on vient en nombre et hop, rendez-vous. Je le dis à P., je m’étonne du peu d’enthousiasme qu’elle manifeste. On se bouge pour que ça bouge, non ?
En fait, on apprendra plus tard que finalement, aucune délégation n’a été reçue. Pourquoi avoir accepté puis renoncé ? Pour faire partir les manifestants – et les journalistes qui les accompagnaient – qui donnaient une mauvaise image du service ? C’est ma première, et seule, hypothèse. Deuxième événement violent de la journée.

Puis comme prévu, une déambulation commence jusqu’au Conseil Général, en suivant le Cours des 50 otages. Les jeunes sont en tête du cortège, ils slogannent à tue-tête, demandent que les mineurs étrangers soient traités comme tous les autres mineurs et puissent bénéficier d’une protection, conformément à la loi. En fait, c’est ça, ils demandent que la loi soit appliquée.
Dans les rues parallèles, les flics nous suivent. E. a l’oeil, c’est elle qui me le fait remarquer. Ar. me faisait remarquer hier qu’on n’est pas des dangereux. Pourtant on nous traite comme tels. Quelques militants sont partis devant pour demander qu’une délégation de huit personnes, dont deux mineurs, soit reçue. Lorsqu’on arrive devant le Conseil Général, les grilles de 6 mètres de haut sont fermées et devant, plusieurs flics tiennent la garde, au cas, bien entendu, où certains tenteraient d’escalader. Je pense bien sûr à ceux qui ont escaladé à Mellila et je me demande si eux aussi ils pensent à ça en voyant les grilles et ses flics et le drapeau français qui flotte, derrière.
Les jeunes se positionnent devant les grilles, face aux policiers, et là un des flics, le plus âgé, avec les cheveux blancs, sort sa petite camera et les filme un à un, lentement, scrupuleusement, professionnellement. Troisième événement violent de la journée.

Ce que j’ai oublié de vous dire, c’est que nos camarades partis en avance pour demander un rendez-vous étaient donc enfermés à l’intérieur de la cour du Conseil général. Ce qui ne nous empêchait pas de communiquer à travers les grilles. Quelqu’un a même tendu le micro du mégaphone à B., tout en tenant sur le haut-parleur de l’autre côté de la grille. Une sorte de parloir-manif sauvage, un truc de fous si j’y repense.
B. était calme, comme si tout était normal, comme si on était en train de vivre une scène de démocratie ordinaire. Depuis des mois, le Conseil général ignore tous les courriers, refuse toute demande de rendez-vous pour répondre aux questions des associations sur la situation inacceptable infligée aux jeunes mineurs, et le jour où une centaine d’indignés finit par demander collectivement à être entendus et reçus, ils sont encerclés par les forces de l’ordre.
B. prend la parole après qu’est venu parlementer avec eux, sous la pluie, un grand monsieur au grand parapluie rouge. B. donc explique qu’une délégation va être reçue par Madame Padovani et le directeur de la protection de l’enfance – cris de victoire sur le quai Ceineray- MAIS, poursuit-elle, il y a un MAIS, « le Conseil général ne veut pas de mineurs parce qu’ils sont mineurs » . Quatrième événement violent de la journée et ô combien violent !

Le Conseil général chargé de la protection de l ‘enfance ne veut pas recevoir de mineurs ! On le savait mais on aurait pu aussi penser que le jour où les militants qui connaissent parfaitement la situation manifestent contre ce fait, le Conseil général aurait fait un geste d’accueil pour sauver les apparences. Pas du tout.
Face aux mineurs, aujourd’hui, on a vu clairement ce que fait le Conseil général : leur fermer la porte, leur envoyer la police, criminaliser ces victimes de la maltraitance institutionnelle, les intimider, les mettre loin des regards, et les mépriser profondément, en leur disant aujourd’hui qu’ils ne peuvent pas être reçus parce qu’ils sont mineurs alors qu’hier, il leur disait, comme à T., de dégager parce qu’ils étaient majeurs.
En fait, s’il y a une chose à retenir, donc, c’est que la parole du Conseil général est divine. Si un jour le Conseil général dit que tu es majeur, eh bien c’est que tu es majeur. Mais si un autre jour, le Conseil général dit que tu es mineur, il faut l’accepter, le Conseil général a toujours raison.

Cette journée de soutien aux jeunes étrangers de Nantes, je le répète, a été d’une rare violence. On a vu jaillir la duplicité et le mépris de l’instance hospitalière qui continue jour après jour à humilier ces jeunes, hommes pour la plupart, issus des anciennes servitudes de l’Empire colonial français, en les mettant à nu, en les réduisant à de la chair et des os. On a vu éclater au grand jour le mépris du Conseil général, qui assume parfaitement de déroger à la loi, de mettre en place un régime de ségrégation et de discrimination pour les mineurs étrangers, et n’a aucune parole.

21 mai 2015
Source : Cimade 44