Un article de Sam BONJEAN dans l’Est républicain du 27 février 2015.
Dénoncé par l’Aide sociale à l’enfance, censée l’épauler, un jeune Nigérien risquait l’expulsion. Son avocat a fustigé des méthodes rappelant un triste pan de l’histoire.
Le juif, le noir et la délation… Rarement, Jean-Baptiste Euvrard aura paru autant habité par une plaidoirie. L’avocat montbéliardais le dit, à la lecture de ce dossier, en quinze minutes, il a balayé le répertoire de Jean-Paul Sartre, passant de « La nausée » aux « Mains sales ». Qui lui a inspiré ces sentiments ? « L’aide sociale à l’enfance », une antenne du Conseil général du Doubs.
Me Euvrard : « Cette France-là, je la vomis. Cette France-là, je la conchie »
Hier, Attaher, un jeune Nigérien, était renvoyé à la barre du tribunal de Montbéliard pour y répondre de fausse déclaration, d’usage de faux documents qui lui auraient permis de toucher des aides indues. Et qui l’a dénoncé ?
L’Aide sociale à l’enfance. Par le biais d’un signalement, estimant que le jeune garçon avait menti sur son âge. Il dit être né le 1er janvier 1997 comme en atteste un extrait de naissance. Son passeport indique une date de naissance remontant au 1er janvier 1994. Pour le procureur Pascal, le second document paraît plus crédible car plus difficile à falsifier.
Il admet que le dossier comporte une dimension humaine mais, dura lex, sed lex, il demande l’application de la loi, requérant toutefois une dispense de peine. « Ce qui aboutirait à une reconduite à la frontière », observe le président Troilo. Les enjeux sont donc sans équivoque. Coupable, le jeune touareg nigérien sera irrémédiablement expulsé vers ses contrées avec de sombres perspectives d’avenir.
Betty Barouk, juge assesseur, s’adresse au jeune homme : « Pourquoi avez-vous quitté le Niger ? » Regard embué, une émotion semble alors assaillir le garçon. « Vous n’êtes pas obligé de répondre », reprend la juge, consciente du poids de ce silence-là.
Scolarisé au lycée Viette, Attaher semble pourtant être un exemple. L’attestation du lycée est édifiante, louant des qualités sortant de l’ordinaire. Dans la salle, le proviseur de son établissement est là. De même qu’Anne-Marie, l’enseignante qui a choisi de l’héberger et de l’extraire de la rue où il avait jeté.
C’est alors qu’entre en scène Me Euvrard, ulcéré par cette lettre adressée à la police aux frontières, « sous-tendante que ce garçon ait pu profiter des subsides de l’État. Je ne peux imaginer qu’une administration ait cette même mentalité qu’il y a 75 ans… »
Jean-Baptiste Euvrard parle des quatre membres de sa famille, envoyés au Struthof et à Auschwitz, parce qu’ils portaient l’étoile jaune. Dénoncés parce que juifs.
Il revint au dossier, évoque ce gamin, suite à cette dénonciation, « foutu dehors en plein novembre. C’est ça l’ignoble ». Il focalise son ire sur l’éducatrice qui a conduit le jeune touareg à la police aux frontières. « Et quand on a demandé s’il avait besoin d’être accompagné, s’il avait besoin d’être assisté, elle a répondu non. Non ! Pas un geste de miséricorde ! Cette France-là, je la vomis, cette France-là, je la conchie ».
Me Euvrard cite alors la deuxième strophe du Chant des partisans. « Ça, c’est ce qui vous colle des frissons », lâche-t-il, des trémolos dans la voix, incitant sinon invitant le tribunal « à arrêter ces corbeaux ».
Le message est passé. Attaher est relaxé. Il va pouvoir poursuivre son chemin de vie ici. Ses yeux comme ceux d’Anne-Marie traduisaient une profonde reconnaissance. Un frisson est passé.
Source : L’Est républicain