Les préfectures piétinent à qui mieux mieux le droit au recours effectif des étrangers enfermés

Lorsqu’une personne étrangère «en situation irrégulière» fait l’objet d’une «mesure d’éloignement» et est enfermée en rétention dans la foulée, deux dispositions fondamentales, martelées par le Conseil d’État en 2013 (n°367533, 30/12/2013), sont censées garantir l’effectivité de son droit au recours.

D’une part, une préfecture ne peut en aucun cas mettre à exécution une mesure d’expulsion dans le délai de recours devant le tribunal administratif – seule juridiction à même de juger de la légalité des décisions d’éloignement et d’enfermement en rétention –, d’une durée de 48 heures.

D’autre part, si l’intéressé forme un recours administratif contre les mesures qui le frappent, l’administration ne peut l’expulser tant que le magistrat n’a pas rendu sa décision ; qui peut intervenir, dans le contexte de la rétention, jusqu’à trois jours après l’introduction de la requête.

Deux règles fondamentales, donc, mais sans doute faut-il rappeler les services préfectoraux à leurs élémentaires obligations. En effet, les violations caractérisées de ces dispositions se sont multipliées au cours des derniers mois ; une épidémie de mauvaises pratiques qui s’est répandue au sein de nombreuses préfectures franciliennes, comme en atteste, depuis le début de l’année, le florilège qui suit.

Technique n°1 : expulser (ou tenter d’expulser) alors qu’un recours suspensif a été introduit

Du point de vue de l’administration mise en cause, une requête en annulation est synonyme non seulement de lourdeurs logistiques et d’obstacles dont elle se serait bien passée dans la course effrénée aux chiffres, mais aussi, éventuellement, de revers juridiques qui sonnent comme autant de vexants rappels à la loi.

Aussi, au nom de la sacro-sainte efficacité, pourquoi ne pas s’en affranchir et renvoyer des personnes dans l’attente de leur audience devant un juge administratif ? A ce petit jeu, les préfectures de la Seine-Saint-Denis et de la Seine-et-Marne nous offrent un haletant concours de muscles.

A votre gauche, Bobigny, qui a renvoyé Joana vers son pays d’origine le 26 janvier, alors que toute sa famille réside outre-Quiévrain et qu’elle ne s’était rendue en France que pour venir au chevet d’une cousine en phase terminale.  Ayant de la suite dans les idées, la préfecture séquano-dionysienne prive le 29 mars au matin Nina, mère d’une jeune collégienne isolée, du droit d’être présentée à son audience devant tribunal administratif, au motif qu’un vol est déjà prévu dans l’après-midi; et le 28 mars, Nykola, père de famille en France depuis quatre ans.

A votre droite, Melun, qui a commodément renvoyé Adel en Italie le 02 avril alors qu’il n’était que de passage depuis quelques jours en France.

N’oublions pas non plus de saluer l’outsider Créteil, qui aurait bien aimé faire de même envers Ibrahim le 03 avril, mais qui aura dû s’incliner face à l’obstination de ce jeune homme bien décidé à avoir voix au chapitre devant le tribunal.

Technique n°2 : expulser dans les 48 heures du délai de recours

Encore plus simple pour les préfectures : l’expulsion avant même la fin du délai de recours. Ce fut ici l’apanage des Hauts-de-Seine, par un renvoi groupé (3 jeunes ressortissants communautaires) le 26 février.

Ces illustrations sont à mettre dans la stratégie globale d’évitement des juges par l’administration : ainsi par exemple en 2013, 54% des retenus en métropole (99% en outre-mer!) sont expulsés avant d’être présentés au juge judiciaire. Cette politique porte gravement atteinte aux droits des étrangers enfermés : lorsqu’ils ont la possibilité de défendre leurs droits, 27 % d’entre eux sont libérés par les juges, un chiffre qui démontre l’illégalité d’une grande partie des procédures.

Quand l’administration, garante de l’État de droit, comprendra-t-elle enfin que sa quête du chiffre ne peut se faire au détriment du respect le plus élémentaire de la loi ?

avril 2015

Source : La Cimade